Verger à Antey-Saint-André (Val d’Aoste)
Il faut saluer le Val d’Aoste. Il y a encore six ou sept ans plus personne n’y produisait de cidre. Pour autant les montagnards de cette vallée, surnommée la Vallée de la pomme et qui monte vers le Cervin, avaient le souvenir du cidre que l’on élaborait ici il y a tout juste trois quart de siècle et qui avait été jeté aux orties au prétexte d’un ordre nouveau. Gianluca Telloli est de ces montagnards, mais il est aussi œnologue. Il s’est souvenu du cidre de son grand-père et du vieux verger là-haut sur les hauteurs. Il fut donc le premier a s’y mettre, avec les pommes du verger de Seissogne et de celui d’Aosta. C’est ainsi que la vallée de la pomme et redevenue la vallée du cidre.
Depuis quelques temps, on y organise la Sicera, une fête de la pomme et du cidre. Les uns y viennent pour faire provision de pommes, mais d’autres pour découvrir les cidres. Gianluca Telloli y invitait cette année des cidres de tous les coins d’Europe, des asturiens, des normands, des suisses, des irlandais, des hollandais, des bretons et d’autres encore. Quelques uns sont venu avec leur producteur, d’autres étaient seulement présentés par l’école de sommellerie de Turin (une très bonne idée). Pour ma part je suis venu avec quelques AOP Cornouaille.
Ce fut un très bon moment, il y avait autour de Gianluca Telloli, Claude Jolicœur, venu spécialement du Quebec, Daniel Emerson, de Kinsale en Irlande, Donato Xuaquin de la revue La Sidra en Asturies. Ce fut l’occasion d’échanger sur le cidre et son actuel renouveau dans le monde, entre des instant précieux dans le verger d’altitude, la découvertes des secrets d’Aosta et des dégustations nombreuses.
Les deux univers du cidre
On constate aujourd’hui la cohabitation de deux cidres radicalement différents et pourtant vendus sous la même appellation cidre. Heureusement le marché s’est depuis longtemps segmenté en deux grandes catégories. Il y a d’un coté, et cela représente l’écrasante majorité (plus de 90 % des volumes), les « ciders » ou « hard-ciders » produits par l’industrie Agro-alimentaire et de l’autre, une catégorie parfois invisible tant elle est modeste dans certains pays, les « craft-ciders ». Ces appellations valent pour le monde anglo-saxon et n’ont pas vraiment cours par ici.
Le « cider » ou « hard-cider » est est bien souvent une alternatives à la bière ou au soda. Il est généralement produit par des multinationales bien implantées dans la bière, le soda et parfois le vin. Ces produits ne sont pas mauvais, certains peuvent même être très agréables selon les circonstances, mais ce ne sont pas vraiment des cidres de tradition, ce sont des boissons de pommes, fermentées et aromatisées, produites dans une stricte logique marchande. S’ils peuvent avec succès concurrencer la bières de grande consommation ou les sodas, il ne proposent pas de véritable expérience gustative. Ils sont presque tous fabriqués à partir de jus de pommes à couteau, frais ou concentrés (en proportion variable suivant les législations nationales), et répondent évidemment aux plus sévères normes de sécurité.
Au Citizen Cider (Local hard-cider bar) de Burlington (VT) USA
À coté de cette production industrielle, il existe donc le « craft-cider », le cidre artisanal. Celui-ci est élaboré avec du vrai jus frais de vraies pommes. Il ne s’agit pas toujours de pommes à cidre comme nous l’entendons en Bretagne, en Normandie ou ailleurs, mais le but du producteur est toujours de proposer un concentré des parfums et des saveurs de son terroir. Ces cidres proposent de véritables expériences gustatives qui varient selon les années. Certains sont trop fragiles pour être commercialisés loin de leur lieu de production, mais d’autres voyagent très bien et sont capables porter les couleurs d’un petit canton, bien au-delà des mers. A noter parmi ces « craft-cider », ceux destinés à concurrencer les bières de grande tradition et ceux destinés à concurrencer le vin et le champagne, et qui sont souvent élaborés par d’anciens professionnels de ces produits.
Au Sitrot (bistrot à cidre) de Quimper (29), avec Ronan Gire éminent spécialiste du Craft-Cider en conversation avec Cyril Zangs, producteur à Saint-Germain-de-Livet (14) et Claude Jolicœur (Québec) expert international du cidre.
Tout ou presque vient de la pomme.
Illustrer la différence entre ces deux mondes est en réalité assez simple. Tout ou presque (il y a aussi le savoir-faire du cidrier) vient de la pomme. C’est une constante chez les auteurs ayant écrit sur le cidre, de décliner sur tous les tons « les bonnes pommes font de bons cidres ». En effet, si le fruit a suffisamment de caractère, et la pomme à cidre en a beaucoup, on obtient naturellement des arômes et des saveurs. Si au contraire il a moins de caractère, c’est le cas de la pomme de table car il faut bien pouvoir la manger, le jus de base est bien plus pauvre.
Le goût d’un cidre est un équilibre de saveurs (sucrées, amères et acidulées) et d’arômes (fruits, fleurs, épices, etc.). L’alcool intensifie la perception de l’amertume et des arômes tandis que l’effervescence crée le relief entre ces différents éléments. Si les quatre saveurs de base, l’acidulé, le sucrée l’amertume et le salé, sont assez faciles à reconnaître isolées, leur combinaison est infinie et se révèle parfois difficile à décrire. Dans le cidre, en l’absence du sel, il n’y en a que trois, ce qui facilite l’exercice sans le rendre vraiment simple.
Plutôt qu’un long discours, une visualisation simple des saveurs est plus efficace. (la saveur salée est mentionnée sur le premier graphique, mais pas sur les autres car elle n’intervient pas dans le cidre).
Dans un cidre réalisé à partir de pommes peu concentrées, les saveurs sont peu marquées. Il peut sembler sucré car l’amertume comme l’acidité sont peu présentes. Pour y palier, les fabricants ajoutent du sucre et aromatisent ces boissons avec toutes sortes de parfums (framboise, houblon, café, etc.).
Dans un cidre réalisé à partir de pommes à cidre, on trouve des saveurs marquées où l’amertume, l’acidité et le sucre sont naturellement très présents car les pommes utilisées ont un fort potentiels de saveurs. Il n’y a évidemment aucun intérêt à y rajouter quoi que ce soit.
Dans la pratique, un cidre traditionnel amertumé est réalisé avec des pommes présentant majoritairement de l’amertume (c’est typique de la Cornouaille). Suivant l’équilibre recherché, la proportion de pommes acidulées est variable.
À l’opposé, un cidre traditionnel acidulé est réalisé avec des pommes présentant majoritairement de l’acidité (c’est le cas de la plupart des cidres). la proportion de pommes amertumées est également fonction de l’équilibre recherché.
Tout n’est pas si simple.
Le monde des « ciders » ou « hard-ciders » est ajourd’hui en pleine expansion dans le monde, même si l’on constate parfois comme en France des périodes d’essoufflement et une certaine saturation de l’offre en terme d’aromatisation comme aux USA. Les « craft-ciders » progressent également à bon rythme, d’autant plus que l’arrivée de nouveaux opérateurs fait évoluer le marché.
S’agissant de ces derniers, on constate chez quelques producteurs une volonté de proposer une alternative au vin avec l’avantage du coût, d’une faible intensité calorique et d’un relativement modeste pourcentage d’alcool. Il est vrai que le cidre est traditionnellement la boisson du repas et qu’avec la diversité de ses propositions d’arômes et de saveurs, il a les atouts pour être la boisson de table du XXIeme siècle. Le discours de ces producteurs est toutefois de vanter la complémentarité du vin et du cidre. Il y a pourtant une certaine contradiction à prétendre faire des cidres d’aussi haut niveau que le vin (ce qui est un beau projet) et a appeler à une complémentarité des deux produits. Si le cidre ne s’est pas élevé plus tôt au niveau du meilleur vin c’est bien parce qu’en Europe, ce dernier à clairement été le choix des régimes autoritaires de l’après-deuxième guerre mondiale. Il semble aujourd’hui plus “militant” et plus efficace de développer un cidre irréprochable, au plus proche de la tradition cidricole et du terroir, sans se préoccuper d’une complémentarité qui pourrait conduire à des comparaisons inutiles tant ce sont des mondes culturellement différents.
Enfin les réglementations nationales conduisent à des différences notables de situation entre les pays. Dans le nouveau monde, c’est assez simple, chacun fait ce qu’il veut ou presque, sauf au Québec où les concentrés sont interdits, et d’une manière générale le cidre est élaboré à partir des pommes à couteau qui ne sont pas assez belles pour être vendues sur les étals. Dans la vieille Europe ou la tradition cidricole est plus ancienne, il existe un verger à cidre plus ou moins important suivant les pays. Si en Angleterre on peut utiliser jusqu’à 90 % de jus concentrés, en France cette limite est de 50 % (le verger à cidre y est important). On a donc en France, mais cela peut exister ailleurs, des industriels, parfois de gros artisans, qui jouent sur les deux tableaux en produisant d’une part des cidres en concurrence avec la bière et d’autre part (mais la différence est parfois bien mince) des cidres en concurrence avec les produits traditionnels.
En résumé.
le cidre n’est ni de la bière, ni du vin. Il peut être une alternative à l’un ou à l’autre avec de très bons arguments, mais il n’a pas besoin de cela pour exister. Le bouillonnement et les errances actuelles sont le signe d’une belle vitalité. Dans les pays de vieille tradition cidricole on savoure la période tout en essayant de rattraper le temps perdu au bénéfice de la qualité qui y fait des progrès rapides. Dans les nouveaux territoires du cidre il semble que certains acteurs cherchent surtout a prendre la place. Gare cependant à la déception du consommateur si la qualité n’est pas au rendez-vous. Cela s’est déjà vu avec les conséquence que l’on imagine. Il apparait donc que le public à le droit à une clarification de la définition des cidres (hard ou craft) qui permettrait également à tous les acteurs de s’engager résolument sur leur voie sans craindre des amalgames contre-productifs, mais cela est sans doute un vœux pieux.
En tout cas, il faut saluer le travail d’un Gianluca Telloli, pionner du renouveau du cidre en Val d’Aoste et d’un Daniel Emerson, pionnier du Craft-cider en Irlande, Il font de bien belles choses aux antipodes de notre AOP Cornouaille, mais avec la même passion que nos cidriers.
Kerzh da vat ! (dit-on chez nous pour encourager quelqu’un à poursuivre dans le bon chemin)
Ci-dessus, le cidre Maley produit en Vallée d’Aoste, le cidre Finnbarra produit en Irlande près de Kinsale et ci-dessous six AOP Cornouaille.