Nous l’avons déjà déploré dans ce blog, la récolte 2012 de pommes a cidre en Cornouaille à été abondante, mais de médiocre qualité. Les teneurs en sucre décevantes ont conduit des producteurs à renoncer à élaborer certains cidres, mais à profiter la manne pour produire des cidres dans l’unique but de les transformer en alcool. Il auront ainsi des réserves afin de produire les Pommeaux l’an prochain.
On notera donc que chez les professionnels, la production d’alcool est devenue spécialisée. Ils ne réservent pas les mêmes alcools au vieillissement ou à la préparation du Pommeau. Leur Lambig y a gagné en qualité et en notoriété à telle enseigne que l’on réserve sa consommation à des occasions précieuses .
Il n’en est pas de même chez les bouilleurs de cru, que la loi n’à finalement pas interdit, et dont l’objectif est seulement de disposer chez soi de son propre alcool. S’il s’agit chez beaucoup d’entre eux de perpétuer une tradition, au demeurant peu ancienne, cela fait quand même pas mal d’alcool à circuler plus ou moins librement et cela ramène inévitablement à l’image du Breton alcoolique même si évidemment d’autres contrées, moins médiatisées, connaissent les mêmes problèmes.
S’intéresser au Lambig conduit donc un jour ou l’autre à s’intéresser à l’alcoolisme, un fléau qui touche de nombreux pays à un moment ou un autre de leur histoire car c’est bien souvent une affaire d’économie et de politique avant d’être un phénomène social et culturel.
Tra ma vo bleizi er c’hoadoù, tud mezv ‘vo dre an hentoù
Tant qu’il y aura des loups dans les bois, il y aura des personnes saoules sur les chemins, prétend un vieil adage de nos campagnes. Il n’y a plus guère de loups, mais des prédateurs de toutes sortes rôdent toujours autour des plus faibles (voir à ce sujet le poème « Marvailhoù » d’Anjela Duval) et s’il y a toujours des personnes saoules sur les chemins, les machines-outils et les moyens de locomotion modernes en ont fait de véritables dangers.
Nous autres Cornouaillais, avons tous eu dans notre proche entourage des buveurs excessifs, des spécialistes de la « piste » dont les carrières de « pistards » furent cependant beaucoup plus courtes que celles des footballeurs professionnels. En règle générale, cela se passait bien et tout le monde en rigolait dix ans plus tard, mais trop souvent cela s’est termine dramatiquement.
Il est difficile pour un Cornouaillais d’y échapper quand on sait notre goût pour la fête et notre propension à l’excès dans ce genre d’exercice. Des légendes arthuriennes au « gwin ar c’hallaoued », des joyeux pardons de campagne aux fastes de la ville d’Ys, l’imaginaire cornouaillais colporte des images de fêtes et de ripailles. Nous savons tous ou presque qu’il ne s’agit pas seulement d’images.
D’après les chercheurs à s’y être intéressés, l’excès de la fête contrastait avec l’abstinence quotidienne (c’est encore vrai de nos jours). Ce n’est qu’avec le bouleversement de l’ère moderne qu’est apparu un alcoolisme autrement plus ravageur.
Au XIXe siècle sont nés les alambics à colonnes à distillation continue, quasiment au moment de l’invention de la poudre a canon dite « sans fumée » qui justement réclamait de l’alcool pour sa fabrication. On comprend tout de suite l’intérêt des ces nouveaux alambics et de fait c’est la demande militaire qui vulgarise son utilisation. Tout est donc en place pour que se développe la distillerie ambulante.
La Bretagne, comme de nombreuses régions d’Europe, à suivi le mouvement et les alambics s’y sont développés comme ailleurs, en plus grand nombre dans les bassins de production de cidre. Si l’alcool est reste un luxe jusqu’à l’essor de la production agricole, sa production et sa consommation ont ensuite explose et le nombre des bouilleurs cru à double entre 1920 et 1950.
Le plus regrettable de l’histoire est que pour lutter contre cette alcoolisation violente, les ligues de tempérance de l’entre deux guerres ont inventé le concept de « boisson hygiénique » et décidé que le vin était le meilleur antidote. Elles se sont évidemment vite rendu compte de l’erreur, mais le mal était fait.
Les temps ont changés et la relative prospérité de la fin du siècle dernier à un peu masque le mal. Avec le retour des difficultés économiques et son cortège de situations désespérantes, l’autorisation de bouillir interpelle. Même si l’on peut faire confiance à ceux qui l’utilisent, il peut y avoir localement un retour de l’alcoolisation violente et, si la qualité des produits n’est pas assurée, un problème d’image pour le Lambig au moment même ou quelques artisans ont réussi à en faire une belle œuvre appréciée des connaisseurs (c’est d’ailleurs pour cette raison que les producteurs travaillent à la mise en place d’une Appellation Contrôlée).
Il me souvient d’une conversation il y a quelques années avec un vigneron du sud de la France. Il disait que les cidres l’intéressait car avec le réchauffement climatique, ses vins titrant désormais 14 % vol, étaient incompatibles avec une consommation régulière, alors que le cidre avec ses 4,5 % vol lui semblait éminemment plus raisonnable.
Nous avons en Cornouaille des cidres de grande qualité. Chaque année nous fait découvrir une cuvée sortant du lot qui parfois est l’œuvre d’un amateur éclairé. Il est par contre très très rare de trouver un grand Lambig produit par un amateur car cela réclame beaucoup de temps et de moyens.
On peut donc craindre qu’il reste encore quelques loups dans les bois.