En vogue jusqu’à la fin du moyen âge, le gwezboell est une sorte de jeu d’échec celtique concurrent du Tablut nordique*. Sa particularité est qu’il oppose des adversaires aux forces inégales, mais aux objectifs différents. Je m’y suis intéressé il y a déjà longtemps et l’avais mis de coté n’ayant guère le temps d’y jouer. Il y a peu cependant une ennième lecture du ”Songe de Rhonabwy”, une pièce complémentaire des “Quatre branche du Mabinogi” (recueil de contes anciens du Pays de Galles), m’a ramené à ce jeu et décidé à produire un damier d’entrelacs.
Avant d’y venir je vous propose les règle du jeu, un résumé du “Songe de Rhonabwy”, et enfin ce fameux damier que j’espère aussi fantastique que l’histoire dont je me suis inspiré pour dessiner des personnages en guise de pions.
Le jeu de Gwezboell
Le jeu consiste à déplacer le roi protégé par 8 gardes, du centre, où il est assiégé par 16 assaillants, vers un des coins du damier. Le joueur du roi a gagné s’il parvient à un des 4 refuges. Le joueur des assaillants a gagné s’il parvient a attraper le roi. Ci-dessous les règles du jeu.
le matériel est le suivant :
Un damier de 81 cases (9 x 9)
1 pions blanc de haute taille pour le roi et 8 pions standards blancs pour gardes
16 pions standards noirs pour les assaillants
Le damier
Les règles de base du jeu
Départ
Phv, P=position – h=horizontal – v=vertical
1 roi (blanc)
P55
8 gardes (blanc)
P53,P54,P35,P45,P65,P75,P56,P57
16 assaillants (noir)
P41,P51,P61,P52
P14,P15,P16,P25
P94,P95,P96,P85
P49.P59,P69,P58
• Chaque joueur joue chacun son tour (on peu décider aux dés qui commence) une seule pièce.
• Toutes les pièces se déplacent comme le château dans les échecs classiques, sur une ligne droite, autant de cases que souhaité, mais sans possibilité de changement de direction pendant le coup ni de passer au dessus d’une ou plusieurs pièces. Les mouvements en diagonales sont interdits.
Exemple : départ P14 (noir)
Arrivée P44 (noir)
• Seul le roi peut se tenir sur la case centrale (P55) et sur les quatre cases de coins (P11, P91 P99, P19)
- Pour prendre une pièce standard à l’adversaire, il faut l’encercler partiellement avec deux pièces situées chaque côté sur une ligne (jamais en diagonale).
Exemple : départ P94 (noir)
Arrivée P64 (noir)
• Cependant une pièce reste en jeu si elle se glisse volontairement entre deux pièces adverses.
Exemple : départ P53 (blanc)
Arrivée P54 (blanc)
• Pour prendre le roi, il faut l’encercler totalement avec quatre pièces ou trois pièces seulement s’il se trouve contre le bord du jeu.
Note : Il y a évidemment de nombreuses variantes locales.
Le Songe de Rhonabwy
Dans ce conte assez tardif qui semble dater de la fin du XIIIe ou du début du XIVe, un guerrier en mission (il s’agite de retrouver et neutraliser un individu et sa troupe qui terrorisent le pays) se retrouve un soir dans une maison ou il s’endort sur une peau de veau jaune qui se révèle être un tapis magique.
Pendant son sommeil il voit le roi Arthur et Owein jouer à un jeu de damier. Il y a peu d’action dans cette histoire qui semble être une parodie des romans courtois à la mode, de ce temps. On y trouve par contre les descriptions répétées de la magnificence des personnages.
… on vit sortir d’un pavillon blanc, au sommet rouge, surmonté d’une image de serpent tout noir, aux yeux rouges empoisonnes, à la langue rouge-flamme, un jeune écuyer aux cheveux blonds frisés, aux yeux bleus, la barbe fraîchement rasée, tunique et surcot de paille jaune, guêtres de drap jaune-vert et brodequins de cordwal tacheté, fermés au cou-de-pied par des agrafes d’or. Il portait une épée à poignée d’or à trois tranchants ; le fourreau était de cordwal noir, et il avait, à son extrémité, un bouton de fin or rouge. Il se rendit à l’endroit où Arthur et Owein étaient en train de jouer aux échecs, et adressa ses salutations…
On y raconte les guerriers d’Arthur massacrant les corbeaux d’Owein alors qu’il gagne la partie, puis les corbeaux d’Owein faisant subir le même sort aux guerriers du roi quand le jeu favorise leur chef.
… à l’endroit où les corbeaux subissaient l’attaque la plus rude et dressa en l’air l’étendard. Dès que l’étendard fut dressé, ils s’élevèrent en l’air irrités, pleins d’ardeur et d’enthousiasme, pour laisser le vent déployer leurs ailes et se remettre de leurs fatigues. Quand ils eurent retrouvé leur valeur naturelle et leur supériorité, ils s’abattirent d’un même élan sur les hommes qui venaient de leur causer colère, douleur et pertes. Aux uns ils arrachaient la tête, aux autres les yeux, à d’autres les oreilles, à certains les bras, et les enlevaient avec eux en l’air. L’air était tout bouleversé et par le battement d’ailes, les croassements des corbeaux exultant, et par les cris de douleur des hommes qu’ils mordaient, estropiaient ou tuaient. Le tumulte était si effrayant…
Il s’agit cependant bien de la description d’un rêve. les images défilent avec une fuite systématique devant les combat (les messagers rapportent les récits de bataille, mais aucun des protagonistes n’y participent). Il semble que de vraies batailles comme celles du Mont Badon et de Camlan soient ici symbolisées par ce jeu de damier. A la fin de la partie :
… Arthur pria Owein de les arrêter, et pressa dans sa main les pièces d’or de l’échiquier au point de les réduire tous en poudre. Owein ordonna à Gwers, fils de Reget, d’abaisser la bannière. Elle fut abaissée et aussitôt la paix fut rétablie partout…
La suite est assez confuse, mais à un moment le narrateur précipite la fin du récit :
… A ce moment Kei se leva et dit : “Que tous ceux qui veulent suivre Arthur, soient avec lui ce soir en Kernyw ; que les autres soient contre lui, même pendant la trêve.” Il s’ensuivit un tel tumulte que Rhonabwy s’éveilla. Il se trouva sur la peau de veau jaune, après avoir dormi trois nuits et trois jours.
En guise conclusion il y a ceci :
… Cette histoire s’appelle Le Songe de Rhonabwy. Voici pourquoi personne, barde ou conteur, ne sait le Songe sans le secours d’un livre : c’est à cause du nombre et de la variété des couleurs remarquables des chevaux, des armes, et des objets d’équipements, des manteaux précieux et des pierres à propriété merveilleuse.
Le gwezboell de Rhonabwy
Pour le profane, ce texte vaut par la description des personnages. Le checheur y verra probablement bien d’autres choses, mais pour ma part le merveilleux est suffisant.
J’avais déjà travaillé sur des échiquiers classiques à base d’entrelacs. je me suis donc attaché a en dessiner un pouvant illustrer cette histoire.
Le damier © Mark Gleonec (taille réelle 45 x 45 cm)
Détail © Mark Gleonec
Arthur © Mark Gleonec
Les gardes d’Arthur © Mark Gleonec
Les oiseaux d’Owein © Mark Gleonec
Remarques :
* Il est difficile de dire qui a l’antériorité de ces jeux tant les populations du nord de l’Europe ont depuis très longtemps partagé et échangé au cours des siècles (il en est de même dans les autres régions du monde).
- Il existe plusieurs traductions des quatre branches du Mabinogi (ou Mabinogion selon les auteurs) qui font l’objet d’études et de traductions (la plus célèbre étant celle de Joseph Loth) régulières. Ceux qui le souhaitent peuvent également en trouver des versions en ligne.
- Il existe de nombreuses éditions du jeu de gwezboell pour la maison (certaines assez fantaisistes dans leurs explications ou dans leur facture), en carton, en bois en résine synthétique et même en numérique et en ligne (voir http://www.drouizig.org).
Kroas Avalou le 1 04 2013