Korriganed Forst Fouenant
On dit qu’en pays de Fouenant les vieux murets de pierres racontent d’étranges histoires de barriques usées par trop d’allers et venues de cidres c’hwerv (amèr, prononcé féo). Ces messes basses confirment que l’on ne sait pas toujours où finissent les futailles même si d’aucuns peuvent témoigner qu’elles servent parfois d’estrades aux couples de sonneurs ou encore de décorations au milieu des rond points. Les petits murets ne sont évidemment pas dotés de la parole, mais il semble que nombre d’entre-eux soient aujourd’hui demeures à korrigan, ce qui vaut bien de mener une enquête, ces petits êtres étant connus pour raconter nombre de contes.
Tenter de les débusquer au plus profond des talus est cependant un exercice difficile car ils sont craintifs et maîtres dans l’art de l’esquive. Il ne sert donc a rien de s’armer de pelles et de pioches. Mieux vaut user de ruse et de patience. Un bon pique-nique savoureux avec cochonnailles, cidres du cru, kouign-amann et kafe-kouefet (café rehaussé d’une goutte de Lambig) est une bonne pratique. Malheureusement le farfadet est facétieux et profite toujours du plus profond de votre sieste pour sortir et se servir à son aise des délices non consommés.
Finalement rien ne remplace une recherche sur le terrain en empruntant nos vieux chemins. Au défaut d’un face a face avec le duz (autre nom du korrigan), cela peut toutefois arriver, l’observation de sa demeure permet d’apprendre bien des choses sur le passé, le présent, mais aussi le futur de nos villages. Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin. sans même prendre son automobile, dont le bruit et l’odeur font fuir le gibier, il suffit d’arpenter à pied les mille et un chemins qui quadrillent le canton.
Profitant de travaux la construction d’un rond-point, je me suis donc engagé sur la rue-neuve, interdite de ce fait aux voitures, qui descend de Kroas-avalou à Forst et propose une balade dans le murmure du ruisseau qui coule en contrebas, le gazouillis des oiseaux et la majesté des futaies. Peu enclin à retrouver le bourg et sa civilisation je suis revenu sur mes pas, abandonnant la voie moderne pour Hent-poull-stang.
En quelques pas, ce n’est plus le même monde, la route monte rudement et partout dans le feuillage de petits yeux vous épient. À la première pente un vieux muret se laisse deviner sous le fatras des herbes, mais sans doute trop impacté par les bruits ordinaires de la rue-neuve, il est manifestement abandonné. Plus haut, alors que la montée sollicite davantage le jarret, c’est un mur moderne qui émerge du vert. Il n’y a rien à en attendre car il est impossible qu’un lutin grassouillet (c’est souvent les cas en sud Cornouaille) puisse se glisser dans un appareillage si bien travaillé.
L’effort de l’ascension est toutefois récompensé car de l’autre coté du chemin louvoie un antique muret dont les ondulations indique une vie foisonnante. En s’approchant on voit nettement les interstices entre les pierres qui sont autant d’entrées vers le monde souterrain. Juste en face, un autre muret qui symbolise à lui seul la lutte entre le monde campagnard encore vigoureux et celui des rurbains qui étend son emprise. Sans être très féru de korriganosophie, on devine facilement que le rajout moderne a tout pour faire fuir le plus intrépide des gnomes.
Mais c’est justement ce moment de petite halte (il faut bien reprendre son souffle), que les murets de pierres choisissent pour raconter leurs histoires. Les plus anciens ont ici vu peiner des foules sur la montée qui mène à l’ancien prieuré. Arrivés à ce niveau, où la pente s’adoucit l’effort, ces femmes et ces hommes sortaient de l’ombre de la forêt et découvraient dans la lumière, des champs opulents, prémices de la douceur de vivre de Logouman (Loc Amand, mais c’est ainsi que cela se prononce dans le quartier). Ces champs nourriciers ont disparus, remplacés par de beaux et confortables lotissements. Certes, ils faut bien que tout le monde se loge et que les enfants puissent grandir dans un bel environnement, mais à ce train, où trouvera t’on encore de la place pour la culture et ou se réfugieront les derniers vestiges des croyances anciennes.
Vestiges parmi les vestiges et même s’il parle une langue oubliée des hommes, le korrigan sait toujours signaler sa présence. Il fait aboyer un chien, s’enfuir un lézard, s’envoler un merle, bourdonner des insectes, remuer des herbes et battre des branches dans le vent.
Marcher, reprendre la marche jusqu’à Logouman où le vénérable mur d’enceinte est encore debout (sans doute à t’il connu plusieurs vies depuis l’époque où l’endroit s’appelait Koat-lann). Là encore la muraille présente des failles qui sont autant d’indices d’une riche histoire. Ces pierres se souviennent de la donation aux moines, aux heures des prémices de la Bretagne moderne, des fastes du Duché breton au centre de l’occident maritime, de sa lente descente du temps des rois de France et des désastres de l’époque révolutionnaire.
La reconversion de Logouman en carrière, puis en ferme prospère, a effacé bien des traces de son passé monastique. Par chance, les quelques pierres sauvées des désastres gardent en mémoire cette longue histoire sans en garder d’amertume. Il semble même que les plus renfrognés des korriganed se délectent d’un lieu qui n’a plus rien de monacal et où les résidents, permanents comme de passage, s’amusent des fréquents pèlerinages laïques au vieux menhir vaguement christianisé et à la glorieuse entrée encore debout.
Symbole malicieux du quartier, une porte pimpante invite à un jardin aux bosquets exubérants, mais il semble bien qu’un lutin facétieux, à l’instar du roi Grallon, en garde la clé suspendue au cou par une chaîne d’or. Peut-être imagine t’il ainsi appâter une nouvelle Ahès.
Marcher encore, point n’est besoin de descendre vers la mer quand l’antique chemin qui ramène à Kroas-avalou se glisse entre les arbres. On prétend qu’ici nombre de murets ont l’âge du prieuré soit un bon millénaire. Il est cependant dommage qu’ils ne bénéficient pas de meilleurs soins et que les divers travaux d’adduction d’eau, d’électricité, de web et autres manifestations du progrès ne leur épargnent pas tant d’avanies. Pour autant les survivants ont encore fière allure et beaucoup de riverains mettent du cœur à les entretenir, et parfois les reconstruire, au mieux de leur moyens.
Il est un mur sur le coté sud de la route qui offre de sa cime une belle vue sur la mer. On peut voir la baie dans son entier de Concarneau à Beg-meil avec au large les Glenan. Cependant, alors que l’on admire le paysage on sent sous ses pieds comme une sorte de vibration. On s’empresse alors de redescendre sur terre (enfin sur le gravillon de la route) et de chercher l’origine de cette sensation. Évidemment, comme toujours en pareille circonstance, rien de bouge et l’on est réduit à scruter le moindre interstice entre les pierres. On s’aperçoit vite que s’y trouve de vraies entrées vers l’intérieur, mais arracher une pierre et creuser au plus profond, sans outillage, semble aussi vain que sacrilège. Le mieux est alors de s’assoir à proximité et d’attendre (j’aurais du apporter un nécessaire à pique nique). Avec un peu de chance, il ne faut pas longtemps pour entendre le talus réveiller d’anciennes lectures et dessiner une histoire ce petit bout de route.
Le chemin va vers l’est, vers Saint-Yvi, Elliant, Rosporden, vers la campagne donc. Sa première halte est Kroas-Avalou, un carrefour qui tient son nom de l’habitude des paysans qui y rassemblaient leurs pommes à cidre avant de les charger pour la petite gare de la Boissière d’où un train les emportait vers les cidreries industrielles de l’est de la Bretagne et de Normandie. Cela n’a duré que quelques décennies, mais les débits du quartier se souviennent de journées très festives. On notera qu’à deux pas de là, de très beaux vergers produisent toujours la matière de cidres comptant parmi les plus réputés du canton.
Suivre la route, et découvrir qu’ici les hommes aménagent leurs entrées de propriété avec des pierres qui cohabitent harmonieusement avec les vieilles pierres. Les korrigans savent remercier ceux qui les respectent ainsi et il se dit que le quartier abrite des personnes fort âgées, mais toujours alertes et à l’humeur assez joyeuse pour ériger des murets au goût des lutins les plus farceurs.
Au bout de la route (tout a une fin), fuyant les pelleteuses et la poussière des travaux, je suis rentré chez moi en regardant d’un œil neuf le petit muret qui sépare mon jardin de celui du voisin. Il est assez ancien, mais a été rénové il y a peu. J’ai pu remarquer une pierre qui a tout d’une porte secrète. Je vais désormais la surveiller de près et m’assurer que personne ne vienne perturber la quiétude de l’éventuel habitant qu’elle abrite. On ne sait jamais.
Park Menez pell, mizmae 2014 ©Mark Gleonec