Le sommet du Cervin, photographié à l’occasion de la dégustation du 7 octobre 2017 au Refuge Teodulo (3 317 m).
Il semble que les rassemblements autour de la pomme et du cidre deviennent plus nombreux au fil des ans. Pour exemple, le mois écoulé m’a offert d’aller au SISGA en Asturies, à la Sicera en Val d’Aoste, de participer à la Fête d’Automne au manoir de Kernault et à la Fête de la Pomme à Fouesnant (d’autres sont à venir). Faut-il voir dans ces manifestations une preuve de l’interêt croissant des consommateurs pour le cidre ou celui d’opportunistes qui cherchent à capter un marché en plein renouveau ? Si les deux sont complémentaires, on notera ici la recherche du vrai et là celle du profit et l’on peut donc s’attendre à autant de déceptions que de satisfactions.
Si les événements cidricoles locaux sont parfois de simples évolutions d’animations plus anciennes, les rassemblement “internationaux” sont relativement récents et attirent des acteurs du marché cidricole dont certains ne sont pas plus anciens que ces rencontres. Le constat illustre un marché en pleine mutation où chacun essaie de trouver l’opportunité fera décoller ses affaires. Le contraste est parfois saisissant entre les “Maisons” solidement établies et les “Start-up” du cidre à la recherche d’un “coup marketing”. Si les premiers travaillent de la pomme fraîche (pas toujours à cidre) et n’avouent le recours aux jus concentrés que du bout des lèvres (il faut bien répondre à la concurrence), les seconds ne s’embarrassent pas et profitent de l’absence d’une définition claire du mot cidre.
En Asturies.
Au concours de cidre du SISGA 2017
Le concours du SISGA de Xixoñ est à cet égard instructif. Lors de la dernière édition, l’écrasante majorité des produits en compétition se présentaient en petits contenants, soit comme des alternatives à la bière, un marché où il faut avant tout être compétitif. Dans ces conditions les cidres de tradition, coûteux et long à élaborer, étaient malgré leurs indéniables qualités assez marginalisés. On peut rencontrer beaucoup de monde à Xixoñ, de belles rencontres qui rééquilibrent heureusement l’organisation et les horaires étonnants (pour un Cornouaillais du moins) des diverses animations. Pour autant le constat est clair. Si les œnologues, sommeliers et restaurateurs sont curieux de nouvelles saveurs, le public n’est pas près d’abandonner son “Sidra natural” pour un cidre venu d’ailleurs.
Au moins les Asturiens consomment du cidre local et font travailler une une solide filière cidricole asturienne. Le SISGA apparaît donc comme une volonté des Asturiens de peser dans un monde du cidre en restructuration sous la pression des “nouveaux mondes du cidre” pour reprendre l’expression de Claude Jolicœur.
En Val d’Aoste.
Quelques unes des bouteilles dégustées au Refuge Teodulo.
La sicera d’Antey Saint André est d’un tout autre genre. À la différence de nombreuses régions d’Europe, la tradition cidricole, comme dans le reste de l’Italie, n’existait plus. La volonté ici est à la fois d’affirmer l’existence d’un cidre local et d’amener le public à le découvrir à travers une manifestation qui se veut internationale. Antey Saint André est au cœur d’une vallée connue pour ses productions de pommes à croquer. Y organiser la Sicera est donc parfaitement légitime d’autant qu’il fut assez simple de rajouter le cidre à une fête locale centrée sur la pomme.
Le cidre n’est donc qu’une partie d’un événement qui possède d’autres ressorts. Pourtant grâce à Gianluca Telloli, sa présence est remarquable et son écho couvre le brouhaha des rues du village. Rassembler dans ce lieu une douzaine de personnalités des cidres du monde et organiser un marché cidricole proposant plusieurs dizaines de producteurs est déjà un sacré travail. Mais quand on vous invite à à participer, avec vos bouteilles, à une dégustation dans un refuge de montagne niché à 3 317 m sur les pentes du Cervin, cela prend une autre dimension. Cela témoigne d’une belle intuition marketing et surtout d’un formidable attachement à son territoire. Outre l’aspect exceptionnel de la dégustation, c’est bien une affirmation forte de l’existence d’un “cidre des montagnes” qui est donnée.
Du stricte point de vue de l’offre des cidres, la balance est ici équilibrée entre les cidres “modernes” en petits contenants et les cidres de tradition. On note par ailleurs une vraie curiosité du public qui profite à tous les exposants, locaux comme étrangers. Concernant l’AOP Cornouaille, il a été très apprécié confirmant ainsi la réputation de “l’Amore dell’ amaro” des Italiens.
Au Manoir de Kernault
La fête d’Automne est ancrée dans le programme de Kernault depuis plusieurs années et le public y vient en famille profiter d’un cadre champêtre idéal pour la promenade dominicale. Le domaine qui produit son propre cidre, possède un verger vieillissant qui fut en son temps un des vergers d’expérimentation du Cidref, et un nouveau verger planté de variétés locales.
L’espace cidre de la manifestation comprend une zone de démonstration de pressage, un stand de vente de cidres et un autre d’animation et d’initiation à la dégustation de cidre. L’AOP Cornouaille y était représenté avec une mise en avant de la Route du Cidre de Cornouaille. Il y avait quatre cidres en dégustation et vente dont deux hors Appellation. Le public est venu nombreux et beaucoup de visiteurs, seulement habitués à un cidre local, découvraient la variété des saveurs et des arômes proposée par les quatre exemples. Du coup les questions et les échanges furent nombreux avec la satisfaction de voir l’AOP Cornouaille remporter largement les suffrages.
À la fête de la Pomme.
La démonstration de pressage à l’ancienne au centre de la fête.
Cette manifestation fouesnantaise est bien plus récente que l’estivale Fête des Pommiers qui avec son concours de cidre fêtera sa 107ème édition en 2018, mais depuis une dizaine d’année elle s’est fait une place de choix dans le calendrier de la commune. À chaque fois c’est un réel plaisir de voir s’ouvrir au grand public les Vergers de Penfoulig. Le travail mené depuis quatre ans sur l’identification et la mise en valeur des variétés locales (à cidre principalement), trouvant ainsi une belle justification.
Le cadre est magnifique. C’est un écrin de verdure au fond de l’Anse de Penfoulig. Certes il faut abandonner sa voiture à quelques centaines de mètres de la fête, mais la balade le long des étangs vaut vraiment la peine. Sur le site, entre les deux vergers et devant la maison des marais, la grande prairie accueille les stands dans un grand cercle convivial, avec au centre les pressoirs. Un petit pour les jus de pomme et un pressoir traditionnel à vis centrale pour les fruits à cidre. La pressée se fait à l’ancienne avec une “motte” montée à la paille de seigle. Dans le cercle des stands, celui de la pasteurisation en public du jus de pomme attire également un bon public.
L’AOP Cornouaille y présentait la Route du Cidre et participait à la fête en commentant la pressée et répondant aux questions sur l’élaboration traditionnelle du cidre. La dégustation commentée d’un AOP n’a surpris personne tant la saveur amertumée fait partie de l’habitude fouesnantaise, mais les questions ont été nombreuses et pertinentes au point que l’idéee de voir le cidre s’inviter sur les tables gourmandes fait son chemin.
De quoi cidre est le nom ?
Les ingrédients d’un cidre fabriqué à base de jus concentré.
Ces manifestations ont toutes en commun le cidre. Trois d’entre elles se déroulent dans des lieux que l’on peut qualifier de bucoliques. L’ambiance y est détendue et conviviale, les exposants y écoulent tranquillement leurs produits et la dimension “produit sain et naturel” du cidre y est évidente. Pour autant le SISGA de Xixoñ est d’une autre trempe et se présente comme un moment fort d’un monde cidricole en marche avec ce que cela suppose d’enjeux économiques. Or, à coté du “Sidra natural” cher aux Asturiens, ce sont bien les cidres “modernes” plus ou moins aromatisés, et plus ou moins “artificiels”qui sont les plus présents.
Derrière ce constat se dessine l’absence d’une définition claire de ce qu’est le cidre et une sourde inquiétude agricole. Pour faire de bons cidres, il faut de bonnes pommes à cidre, professent tous les experts du breuvage. Or la culture de la pomme à cidre, aux pratiques généralement qualitatives, n’offre que des rendements faibles en regard de ceux de la pomme à croquer. Fabriquer un cidre à base de pomme à croquer revient donc moins cher et si elles sont remplacées par des jus concentrés, le coût est encore inférieur.
Lors d’un récent séjour en Angleterre, les producteurs de pommes à cidre se plaignaient que le nouveau propriétaire de Bulmers (le premier cidrier Anglais) diminuait ses commandes chez eux pour augmenter celles de jus concentrés. La loi française est un frein à ces pratiques, mais la libre circulation des marchandises dans l’UE pourrait aboutir à la rendre caduque. Le verger français de pomme à cidre, réputé le plus vaste d’Europe, risquerait alors de n’être qu’un souvenir. On peut argumenter que l’expérience gustative n’est pas la même, mais pour que cet argument garde quelques valeurs il faudra plus que trois fêtes bucoliques et peut-être faudrait-il que tout un chacun sache de quoi cidre est le nom.
Par exemple en France, la définition légale du vin, établie en 1889 à une période de fraude généralisée, réserve cette dénomination aux produits exclusifs de la fermentation du raisin frais ou du jus de raisin frais, et un décret de 1987 précise que les boissons aromatisées à base de raisin ne doivent pas comporter le mot vin dans leur dénomination.