On trouve régulièrement sur les lieux de vente, des boissons aux étiquettes alléchantes où le mot Cidre apparaît en bonne place. Si dans bien des cas une lecture rapide en éclaire sur le contenu, il n’en est pas toujours ainsi et nombre de bouteilles, profitant d’une réglementation laxiste, font passer pour cidre de tradition des breuvages pasteurisés où les concentrés et autres ingrédients ont remplacé le jus des pommes. L’apparition d’une population de Ciderlovers(1) à entraîné le marché vers des excès et dérives, autant par opportunisme commercial que par ignorance de ces nouveaux consommateurs. Si rien n’est à priori condamnable, il semble néanmoins nécessaire d’harmoniser la définition d’une boisson aussi ancienne que l’humanité, et qui pour s’être gardée de la prétention des puissants comme de la gaillardise des soudards, a su nous transmettre l’intemporelle sérénité des vergers du monde. Verger au Herefordshire (UK)
Un Cidre est le produit d’un verger.
Pour faire un bon Cidre, il faut de bonnes pommes, c’est à dire riches en saveurs et en parfums. À ce jeu les petits fruits parfois biscornus des vergers à l’ancienne sont meilleurs que les gros et jolis fruits(2) des vergers intensifs et que les concentrés de jus de pommes, assez voisins de l’eau(3) aromatisée. En plus de fournir de la matière première pour un Cidre de caractère, le verger traditionnel est une chance pour une planète chaque jour plus menacée. On y trouve à coté de sa diversité végétale, un équilibre vibrionnant d’insectes dévoreurs de parasites avec leurs prédateurs et la multitude des oiseaux du bocage.
Trois accueils de cidreries en Hesse (DE), au Quebec et en Bretagne.
Un Cidre est l’œuvre d’un Cidrier.
Un Cidre est généralement le résultat un assemblage(4) de plusieurs variétés de pomme, les unes apportant du sucre, les autres de l’acidité ou de l’amertume. C’est un homme de l’art qui règle les proportions pour obtenir un Cidre selon son inspiration. Ce Cidrier procède d’une tradition transmise par ses prédécesseurs, qui magnifie la beauté et les couleurs de son terroir pour donner à tous de les retrouver dans les éclats d’une boisson unique. Il y a donc autant de typicités cidricoles que de terroirs avec à chaque fois autant de Cidres que de Cidriers. L’uniformité n’y est pas de mise et permet à chacun de trouver le nectar qui lui convient le mieux.
106ème Concours de Cidre de Fouenant (Bzh) en 2017.
Le Cidre est un marqueur culturel.
La Légende américaine de Johnny Appleseed, la tradition anglaise du Wasail, l’art asturien de l’Espicha, le succès incroyable de la chanson bretonne Son ar sistr(5), sont quelques uns des signes visibles du Cidre dans des pays pourtant très différents. En réalité toutes les campagnes des régions tempérées du globe produisent du Cidre. Dans beaucoup d’entre-elles les populations et les artistes en célèbrent les moments marquants. Si le Cidrier est au centre de cet art de vivre, le Cidre y est depuis longtemps un bien commun. Les arbres y caractérisent les paysages, les saveurs y influent sur les habitudes et les histoires y inspirent la création.
La réalité économique est bien différente.
Les Cidres de tradition représentent bien peu face aux volumes des boissons vendus sous le nom Cidre, fabriqués à partir de pommes à croquer, fraîches ou sous forme de jus concentrés. Comme ces pommes n’offrent pas de caractères affirmés, il est nécessaire d’y ajouter selon le cas, du sucre ou des arômes plus ou moins naturels. L’éventail des possibilités est immense et va de la simple imitation d’un Cidre réputé, au cocktail exotique et au Cola aromatisé à la pomme. Le mot Cidre, ou son équivalent Anglais Cider, est également accompagné de qualificatifs comme hard, craft, new-beer, etc. dont le sens varie d’un producteur à l’autre. On peut même trouver un produit appelé Cidre où l’ingrédient mis en avant est … l’eau.
Le problème n’est évidemment pas que ces produits soient bons ou pas. Il est dans l’absence d’une définition partagée du mot Cidre. Force est cependant de constater que ce n’est pas simple car les traditions sont très variables d’un pays à l’autre. Si les Normands, les Bretons et certains Cidriers dans de nombreux pays, utilisent un original procédé de clarification suivi d’une fermentation lente, la plupart des artisans perpétuent au travers d’interprétations modernes, l’antique procédé d’élaboration du Vin de pomme(6), tels Apfelwein en Allemagne ou le Vino di Mela en Italie. De plus les Cidres peuvent être plats où pétillants.
Dans le même temps les réglementations nationales existantes sont divergentes. La France tolère 50% de jus concentrés, l’Angleterre en autorise 90%, d’autres pays n’en prévoient pas de limite alors que le Québec l’interdit. Ajoutons à cela que tel règlement n’imposant pas d’informations précises sur l’étiquette, un consommateur peut acheter une boisson pasteurisée à base de concentrés en croyant choisir un vrai Cidre de tradition. Toutes les conditions semblent se réunir pour que se sentant floués par un produit qui ne sait plus tenir sa promesse, le public s’en désintéresse.
Il paraît donc souhaitable que la planète Cidre prenne la mesure de cette anarchie sémantique qui pourrait éroder le socle même de son patrimoine, avec des conséquences économiques, écologiques et culturelles que l’on peut imaginer. Dans ces conditions, qu’un travail de réflexions et de propositions soit mené pour faire à l’exemple du vin(7), converger les différentes réglementations et harmoniser le sens du mot Cidre(8), semble assez légitime.
Mark Gleonec – Kroaz-avaloù – 2018 08 12
1 – le Hashtag, ou marqueur de métadonnées sur Internet #Ciderlovers, permet de marquer un contenu, plus ou moins partagé par la communauté des amateurs de Cidre du monde.
2 – Si en 1950 une pomme apportait 400 mg de vitamine C, indispensable à l’être humain, en 2015 une pomme standardisée n’en apporterait plus que 4 mg, soit cent fois moins.
3 – Pour produire un Cidre sans pomme, il suffit de prendre un jus de pomme concentré et d’y ajouter du sirop glucose, de l’eau, du dioxyde de carbone, de l’acide citrique, du sorbate de potassium, du caramel d’ammonium, etc.
4 – Mélange de plusieurs variétés afin d’obtenir un équilibre de saveurs souhaité. Cependant quelques variétés de pomme permettent d’élaborer des Cidres mono-variétaux.
5 – La Chanson du Cidre, un traditionnel breton qui compte un grand nombre d’adaptations dans le monde.
6 – Bien que les traditions de l’Apfelwein en Allemagne et du Sagardo au Pays Basques soient très antérieures à la définition moderne du mot Vin, leurs traductions donnent un groupe nominal Vin de pomme en totale contradiction avec celle-ci.
7 – La Loi Française Griffe, du 14 aout 1889, réserve la dénomination vin aux produits exclusifs de la fermentation du raisin frais ou du jus de raisin frais. Depuis, cette règle s’est généralisée et pour l’Office International de la Vigne et du Vin, le vin est exclusivement la boisson résultant de la fermentation alcoolique complète ou partielle du raisin frais foulé, ou non, ou du moût de raisin. On ajoutera qu’en France, un décret de 1987 précise que les boissons alcoolisées aromatisées à base de raisin ne doivent pas comporter le mot vin dans leur dénomination.
8 – En France, le Larousse, le Littré, le CNRTL et bien d’autres dictionnaires, divergent sur les définitions du mot Cidre, même si la pomme y apparaît majoritairement.