Enfin de retour après un été (et un automne) a se remettre sur pied. Il n’y a pas lieu de s’attarder là dessus, sauf pour confirmer que si le cidre est un puissant soutient à la bonne santé, il ne protège pas de tout comme le prétendait en 1580 Julien le Paulmier dans son “Traité du vin et du sidre”. Les choses semblent rentrer peu ou prou dans l’ordre et nous avons pu reprendre nos habituelles dégustations du Sistrot.
En cette session de rentrée, il nous tardait, à Ronan Gire et moi-même de tester les deux bouteilles que m’avait confié en mai dernier Claude Jolicœur, spécialement pour nos réunions mensuelles. Claude Jolicœur, n’est pas un producteur professionnel, c’est un chercheur qui œuvre depuis plusieurs décennies à la diversification des cidres du nouveau monde et teste sans relâche de nouvelles variétés de pommes et de poires. Son livre* paru en 2016 reste à ce jour un des rares ouvrages en Français (son guide en Anglais est une référence internationale) récent et accessible sur la fabrication du cidre, qu’un producteur ou un dégustateur se doit de posséder car on y trouve les réponses aux questions qu’un verre de cidre peut générer pour peu que l’on intéresse aux raisons de ses qualités.
Avec Ronan, nous avions également décidé de vider les réserves de certaines bouteilles qui commençaient à dater. Cela promettait donc une session pour le moins diversifiée avec du cidre du Pays de Caux, du Hereforshire (UK) et de Cambremer.
Claude Jolicœur
Poiré du Québec 2017 de Claude Jolicœur.
Un poiré Claude Jolicœur au Québec, ce n’est déjà pas courant, alors en disposer ici d’une bouteille c’est rarissime. Après avoir passé en revue les poires utilisées (Winnal’s Longdon, Thorn, Golden Spice et autres), nous nous y sommes donc attaqué avec la gravité de prélats en conclave. À l’ouverture il y a peu de pression, mais la bouteilles sortait de la fraîcheur des réserves du Sistrot (par ailleurs responsable de la dégradation de l’étiquette). Dans le verre c’est tout pareillement calme sous une belle robe pâle, dorée et limpide. Le nez est plaisant et délicat avec des notes de poires et de coings, un petit coté bonbon sucré et une petite piqure acétique naissante aux dires de certains. En bouche, il se révèle un peu perlant, il y a un bel équilibre à la fois minéral et acidulé où quelques participants auraient souhaité plus de corps. La finale semble courte, mais très vite c’est un joli sillage épicé qui s’installe au palais. De la bel ouvrage aux dires de l’assemblée.
Cidre du Québec 2016 de Claude Jolicœur.
L’inscription “L’amertumé” de l’étiquette (assez dégradée malheureusement) annonce la couleur. Ce cidre fait partie des premières cuvées expérimentales réalisée avec les variétés amère et douce amères isolées par Claude Jolicœur. L’assemblage en comprend deux, la Douce-de-Charlevoix et la Bilodeau avec également de la Lobo. Jolie pression à l’ouverture avec un bel effet de mousse au service. Dans le verre, la couleur jaune paille assez soutenue avec un petit voile gage d’une production naturelle et soignée. Le nez est propre et franc avec une base de fruit mûrs et des notes de pain grillé. La bouche est équilibrée, avec cette acidité des cidres nord américains balancée fort à propos par des tanins qui lui donnent juste ce qu’il faut de corps. On y retrouve du fruits et un petit goût de cidre avancé, ce qui est attendu pour une bouteille de 2016 ayant tout de même pas mal voyagé. La fin de bouche est plaisante, douce et se prolonge agréablement.
Cidre Ross-on-Wye “Single Variety” Dabinett (8% vol).
Nous avions déjà testé des bouteilles de cette maison** qui est un des piliers du cidre au Herefordshire si bien que nombreux sont nos visiteurs venant de cette belle région, à nous en apporter. Les vergers locaux doivent abriter une quarantaine de variétés à cidre et la maison s’est spécialisée dans le “Single Variety cider”, le cidre mono-variétal. Il y en a donc autant que de variétés de pommes. Pour mémoire, la Dabinett est une excellente variété “full-bitter-sweet”, originaire du Somerset, que l’on trouve un peu partout dans le monde cidricole anglophone. Bouché de liège et peu effervescent, c’est un cidre pâle et minéral au nez de peau de châtaigne pas désagréable, mais un peu gâché par une présence marquée de sulfites. En bouche c’est sec et amertumé. Il fait penser aux cidres secs et désaltérants des Monts-d’Arrées dont la finale est pareillement un peu courte. C’est un cidre de table et de travail qui nous a conduit a nous remémorer les anciens d’ici qui buvaient ce type de cidre dans les campagnes, pour se désaltérer pendant les durs travaux de fin d’été.
Cidre Ross-on-Wye “Single Variety” Ellis-Bitter (6,5% vol).
L’Ellis-bitter, parfois appelée Ellis’s Bitter-Sweet, est une variété originaire du Devon que l’on trouve aujourd’hui sur tout le Royaume-Uni. Un bouchon vissé pour ce cidre que l’on peut qualifier de tranquille. La couleur est très pâle, le nez montre du fruit, de la pomme qui masque une pointe de sulfite très acceptable. L’attaque est douce, mais sous la pomme, rapidement l’amertume impose sa présence avec des saveur un peu métallique. La finale est longue avec du fruit et de l’amertume. C’est un cidre puissant et amère a réserver à l’accompagnement de plats roboratifs.
Cidre brut de la Ferme du Pradon, Pays de Caux (4,5% vol).
La Ferme du Pradon, aux confins du Pays de Caux, à Gonfreville-l’Orcher, aux portes du Havre, est un vénérable clos-masure du XVIIème siècle, tenu par la famille Palfray depuis 1872. Parmis les nombreuses productions fermières du domaine, le cidre tient une place de choix. Nous disposions d’une bouteille de brut 2016. Au service la pression est contenue, l’effet de mousse est cependant dans la norme tout comme la couleur orange un peu pâle. Le nez, un peu lointain, fait sentir de la pomme, un peu d’épices et une petite pointe lactique. La bouche est équilibrée, plus proche cependant d’un demi-sec avec cette petite présence lactique qui rappelle l’âge du flacon. La finale est relativement courte quoique agréable avec ses parfums de fruits. C’est un cidre qui respire la tradition et si sa tenue dans le temps n’est évidemment pas extensible, il s’est dans notre cas plutôt bien tenu.
Nous avons poursuivi la soirée par un excellent repas au Sistrot accompagné, entre-autre, d’un Jurassique de chez Antoine Marois, de fort belle facture. Mersi bras à Erwan de la cidrerie de Pontérec, Claude de la Cidrerie de Menez-Brug, Renaud et Caroline de la Cidrerie des Vergers de Trévignon, Jennifer de la Cidrerie de Rozavern, Gwenael de la Cidrerie Le Brun, Valérie du Cidref et à Gwenn Le Dore, conteur et grand amateur d’histoire de pommes et de cidres, venu partager cette soirée. Mersi bras également à Erwan et Ronan du Sistrot pour leur accueil.
Gwenn Le Dore
*- http://www.macgleo.com/blog/2016/06/08/un-livre-de-claude-jolicoeur/
**_ http://www.macgleo.com/blog/2017/12/16/la-degustation-du-sistrot-du-12-decembre-2017/