Les vents étaient contraires et, à peine plus bas que le niveau des quais, le joli fleuve de Cornouaille gonflait ses eaux des gouttes innombrables d’une vaillante pluie d’hiver. Cela ne découragea nullement nos dégustateurs qui à vrai dire semblaient assez satisfaits de ce retour durable d’une eau qui quelques jours plus tôt était encore parcimonieuse. Malgré la période ils furent plusieurs producteurs à abandonner pour un soir, leurs moulins, presses, cuves et densimètres, afin de se rassurer sur les raisons qui les poussent chaque année à s’éreinter jusqu’au bout des nuits d’automne afin de transformer de gros tas de pommes en fines boissons dorées.
À propos du cru 2018, on notera que la Presse Quotidienne Régionale, toujours prête à grossir le trait, annonçait une pénurie de pommes et des prix au débit s’élevant vers les sommets. La réalité est que la récolte est simplement correcte et la pénurie ne nous guette pas encore, loin s’en faut. Par contre, les jus cette année sont diablement sucrés, preuve qu’il a fait soleil, et cela augure de belles perspectives gourmandes. En attendant nous nous sommes penchés sur les cinq propositions de Ronan, qui nous a fait voyager vers le Kreiz-Breizh (centre Bretagne), le Maine, le Perche, La suisse et le Québec.
Poiré – Keranna (2017 – 3,5%vol)
En premier lieu, on notera que le nom est écrit avec un K barré, une abréviation de Ker (hameau ou village en Breton) utilisée fréquemment autrefois et revenue en grâce depuis quelques années. La bouteille, joliment présentée est produite à Plumieux (village fondé en 540, en limite des Côtes d’Armor et du Morbihan) avec des fruits provenant de poiriers plus que centenaires pour certains ainsi que de nouvelles plantations.
Au service l’effervescence est mesurée et le verre se pare d’une jolie couleur pâle. Le nez est fruité avec de la poire, des fleurs blanches et des notes Tatin. En bouche il est juste perlant, l’attaque est souple et sucrée avant de faire place au fruit et a une acidité adoucie de notes sucrées qui parfument le palais avec assez de longueur. C’est un beau poirée très agréable en dégustation et qui colporte une vraie belle histoire d’excellence et de tradition paysanne.
Cormé – Eric Bordelet (2017 – 6%vol)
Le Cormé est une boisson élaborée à partir de cormes, les fruits du Cormier (Sorbus domestica), un arbre qui peut prendre des proportions très imposantes. Le Cormé a longtemps été produit en de nombreuses campagnes, mais avait quasiment disparu, bien qu’en Allemagne les producteurs d’Apfelwein en incorporent toujours dans leurs assemblages variétaux.
Très jolie bouteille au long col et à la présentation soignée. Au service, la petite et douce effervescence laisse découvrir une belle robe pâle. Le nez est clair et engageant avec des parfums de fruits, nouveaux pour nous, qui font penser à des vins de vendanges tardives et à quelques Apfelwein des alentours de Francfort. En bouche, l’attaque est douce, presque onctueuse et laisse place à une amplitude amère où l’astringence est contenue. La finale est assez longue avec du fruit et un sillage acide et amertumé bien adouci et maîtrisé. Un belle découverte qui laisse entrevoir des accords gourmands originaux.
Cidre effervescent – Cartier-Potelle (2014 – 10%vol)
Le Domaine Cartier-Potelle, à Rougemont au Québec (une cinquantaine de kilomètre au sud de Montréal), produit du vin et du cidre. Ce cidre effervescent est le seul cidre pétillant de la gamme (qui compté évidemment un cidre de glace) et est élaboré selon la méthode champenoise avec prise de mousse en bouteille. Les variété utilisée sont les Royal-Gala, McIntosh et Empire, ce qui est assez conforme aux usages Nord-Américain.
Au service il y a un bel effet de mousse. La couleur jaune pâle et brillante est animée de fines bulles. Le nez est sympathique avec du fruits frais (un peu agrume) et des notes un peu chaudes comme quelques cidres de glace. En bouche l’attaque est nette et acidulée. S’il y a peu de corps, des notes de citron vert apportent de l’amertume à la finale qui se poursuit quelques temps. Un bon cidre acidulé et fort, loin de nos standards européens, mais au caractère affirmé.
À propos d’ailes – Cidrerie du Vulcain (2016 – 4%vol)
La cidrerie suisse du Vulcain nous a déjà proposé quelques une de ses productions à la dégustation. Celui-ci est une cuvée spéciale élaborée à partir de lots de pommes Bio, sélectionnés (Tobiäsler, Boskoop et Bohnapfel) et cultivées en Thurgovie.
Au service l’effet de mousse est à la hauteur de l’attente. La couleur orange pâle est animée d’un léger mouvement de bulles. Le nez est fruité et restitue le mélange variétal avec des notes de miel. En bouche c’est doux et fruité avec une saveur acidulé à la manière de quelques sucreries d’enfance. La finale est douce avec des parfums de miel. S’il manque d’un petit supplément de caractère, c’est un cidre plaisant pour la dégustation.
Cidre du Perche – l’Hermitière (Brut 2013 – 5%vol)
Installée au Theil sur Huisne, la cidrerie traditionnelle du Perche est un établissement connu de longue date pour ses cidres, calvados, pommeaux et poirés. La bouteille, sobrement présentée reflète parfaitement cet attachement à la tradition.
An service il y a un bel effet de mousse. Dans le verre, la couleur orange est la fois limpide curieusement teintée une petite tonalité sombre. Le nez de fruits est un peu lointain, probablement du fait de l’âge du flacon (5 ans tout de même). En bouche, l’équilibre est impeccable même si cela manque un petit peu de corps. La finale est fruitée sans être très affirmée. D’une manière unanime les dégustateurs ont salué la tenue de ce cidre de tradition, même si au nez en particulier, il avoue son âge.
Ce fut un excellent moment de découverte, avec une belle série de produits tous différents, mais à chaque fois élaboré selon les méthodes traditionnelles propres à chaque terroir. Mersi bras à Ronan et Erwan, nos hôtes du Sistrot, à Marine et Brieug de la Cidrerie de Kermao, à Valérie du Cidref, à Erwan de la Cidrerie de Ponterec, à Jennifer de la Cidrerie de Rozavern, à Paul de la Cidrerie Coïc et à Gwen des Cidres Le Brun. Mersi bras également à Claude, harpiste et complice de nos soirées contées, qui abandonne régulièrement son instrument pour s’occuper de son verger et préparer sa petite cidrerie.