Samedi 30 novembre, Bédée aux portes de Brocéliande. Les échanges sur le Verger de Pays, n’ont pas évoqué Saint-André-les-Vergers. Cependant l’apôtre André est connu de toute la chrétienté pour être un symbole d’œcuménisme et la pomme, dont la symbolique rapproche tout l’occident, en est un autre (1). La localité, périphérique de Troyes, est pour sa part connue depuis le XVIe siècle pour ses productions fruitières. On y trouve aujourd’hui un “Drive Fermier de l’Aube” où les producteurs locaux se sont regroupés avec bien évidemment, des fruits selon la saison, et du cidre du Pays d’Othe.
Ce n’était évidemment pas l’exemple immédiat pour nourrir nos échanges, mais le saint comme le village sauraient pu les illustrer. À la différence d’un verger de production, destiné à un marché de consommation ou de transformation, le Verger de Pays est aujourd’hui compris et défini comme un lieu de conservation d’un patrimoine que l’on peut qualifier de local, mais qui est avant tout un composant de base de l’immense patrimoine des campagnes européennes. Un Verger de Pays n’est en aucun cas un repli sur un territoire, mais au contraire une fierté et un trésor donnant à la collectivité, ou le particulier, qui le porte une place dans un monde de savoirs, de transmission et de gourmandise. De ce fait il est un outil de rencontres, d’échanges et d’enrichissements.
La Maison du Patrimoine de Brocéliande, nous avait réuni Michel Adam, Pierre Bazin, Loic Berthelot et moi-même autour d’Olivier Ibarra, du Pôle fruitier de Bretagne. Le débat portait sur la place de ces vergers dans les contextes marchand, écologique et culturel de notre société. On notera qu’en la matière, il y a peu de différences entre le verger de pommes “à croquer” et celui de pommes “à cidre” tant le fruit comme la boisson sont, plus ou moins, universellement répandus, néanmoins en Bretagne la fierté de chaque canton a fait de la pomme à cidre un fruit aussi diversifié que les cidres que l’on y produit.
Il fut donc question de d’intérêt économique et si l’on peut opposer le verger de conservation à celui de production, il s’agit en réalité dans chaque cas de proposer un modèle économique viable avec un retour sur investissement qui n’est évidemment pas du même ordre. Le Verger de Pays s’inscrit par nature dans le principe du circuit court. Quelque soit la structure qui le gère, c’est une production de fruits, commercialisable selon sa vocation. Nous avons entendu à ce propos qu’il n’existe pas de mauvaise variété de pomme, mais qu’il peut exister de mauvais usages de telle ou telle variété. Il convient donc toujours de bien connaître les variétés que l’on cultive. Un Verger de Pays peut également être un centre d’intérêt touristique à condition de l’aménager en conséquence. Dans tous les cas cependant, il faut s’en occuper tout au long de ses cycles, car un verger se transmet et il est impératif de toujours disposer d’une ressource humaine suffisante pour le conduire dans la durée.
Il fut également question d’écologie, un mot commode pour désigner à la fois la culture du pommier, son environnement et l’incidence des changements climatiques à l’œuvre actuellement. Le Verger de Pays est en principe un verger traditionnel pas ou peu soumis à une pression phytosanitaire comme ce peut être le cas du verger de production intensive. On y trouve donc un équilibre biologique entre parasites souhaités, leurs prédateurs et les prédateurs de ces derniers, tout cela étant adapté selon le lieu de plantation, l’importance du verger, la saison et les conditions climatiques. Ces dernières ont tendances à changer avec un réchauffement qui peut entrainer des glissements parfois conséquents de la période de maturité. À son échelle, un verger est une petite forêt de pommiers et ses arbres, qui présentent un large partie de l’année d’importantes surfaces de feuilles, contribuent autant que d’autres espèces à freiner le réchauffement. Par ailleurs un verger contribue largement à la fixation de certaines espèces animales telle la chouette chevêche, dite chouette des vergers, qui vit auprès des habitations et a besoin de plantations à végétations basses pour chasser insectes, vers de terre et petits rongeurs.
Il fut enfin question de transmission de savoirs. Mon travail (2) sur le verger conservatoire de Penfoulig à Fouesnant l’a mis en évidence, les pommes sont à peu près partout (en Cornouaille il s’agit principalement de pommes à cidre) l’expression d’une culture paysanne complexe, élaborée au fil des générations. Or les bouleversements de la deuxième moitié du XXe siècle ont mis à mal la transmission traditionnelle parents-enfants de ces savoirs. Ils ne sont pas encore perdus, mais il y a urgence à les collecter et à les présenter dans une forme accessible aux nouvelles générations pour qu’ils se transmettent à nouveau. À cet égard, le Verger de Pays est un outil formidable car non seulement il véhicule beaucoup de ces savoirs paysans, mais comme nous venons de le souligner, il est également tout à fait en adéquation avec la prise de conscience des enjeux écologiques de notre temps et est donc un très bon outil pédagogique.
Cette soirée nous aura permis de constater que ces Vergers de Pays constituent une ambition partagée au nord et au sud de la Bretagne, mais également en Europe. J’ai pu témoigner de récentes conversations en Savoie et en Vallée d’Aoste où les préoccupation sont les mêmes, avec également des personnes qui ont à cœur de collecter et de transmettre le savoir sur les anciennes variétés de ces régions. Bien menée, la soirées a permis des débats et de bons échanges avec le public donc il faut souligner la qualité d’écoute et la participation. Cela s’est évidemment poursuivi autour d’un excellent buffet (accompagné du fameux cidre Extra-brut de la Maison Coat Albret) proposé par la Maison du Patrimoine en Broceliande.
Mersi bras Estelle Guilmain de la Maison du Patrimoine en Broceliande, Olivier Ibarra, Michel Adam, Pierre Bazin et Loic Berthelot. Merci (et bravo pour sa participation) au public présent.
1, Voir : Oda a la manzana de Pablo Neruda. 2, Pommes et cidre de Cornouaille, Mark Gleonec, Éditions Locus-Solus.