La fin 2019 aura été particulièrement secouée. Les tempêtes se sont succédées pendant plusieurs semaines. La Cornouaille n’est pas seule à en avoir souffert, mais nous en avons une assez grande habitude et à cette heure rien d’extraordinaire ne s’est produit. Pour autant ces vents ont été accompagnés de pluies très abondantes et certaines communes ont reçu en deux mois presque autant d’eau qu’en une année.
Il n’en fut pas de même en octobre 1987, un méchant coup de vent, resté dans la mémoire locale comme “l’ouragan”, causa bien des dégâts sur tout le nord-ouest de l’Europe. La Cornouaille fut frappée de plein fouet mais n’eut heureusement pas a déplorer de victimes humaines. Dans les zones urbanisées et sur la côte, les maisons, infrastructures, usines et bateaux en firent les frais. Dans les campagnes, les hangars, bâtiments d’élevage, bétail et cultures furent ravagés. Le verger à cidre connut un grand désastre avec près de quatre-vingt pour cent des arbres plaqués au sol, tous les fruits tombèrent en une seule fois et il fallut dans l’urgence sauver ce qui pouvait l’être.
On s’occupa en priorité du verger de production et bien des anciens vergers furent abandonnés. Il se trouva cependant dans quelques communes, des passionnés de la pomme qui ne purent se résoudre à laisser les variétés anciennes s’en aller à l’oubli. On leur doit les vergers conservatoires de Cornouaille comme celui d’Arborepom à Arzano où de Penfoulig à Fouenant. Ce dernier fut créé par Guy Rannou et ses amis qui firent le tour des fermes pour récupérer des greffons. Rapidement ils alignèrent 68 arbres pour 39 variétés croquer et quelques mois plus tard rassemblèrent 55 variétés à cidre pour 110 arbres.
Un quart de siècle plus tard, le verger avait évidemment bien changé. Quelques greffes n’ayant pas connu le succès, les plants furent sur-greffés et il s’avéra qu’au fil du temps, les noms des variétés indiqués ne correspondaient plus à ceux notés sur le plan initial. Cela fut le point de départ d’un long travail achevé en 2018 et qui s’acheva par la publication de “Pommes et cidre de Cornouaille” aux Éditions Locus Solus. Outre le travail purement pomologique, cette expérience a particulièrement mis en lumière tout un pan occulté de notre tradition paysanne. Il apparut que si les pommes à croquer étaient nommées en Français, les pommes à cidre portaient toutes des noms en Breton. Après analyse, il s’avère que les pommes à croquer ont pour beaucoup été introduites par le biais de collection rassemblées dans les parcs des résidences bourgeoises, dès le XIXe siècle. Elles n’ont à quelques exceptions près rien de local. Il n’en va pas de même des pommes à cidre dont les noms ne doivent pas au hasard et sont généralement une information précise sur le fruit ou son arbre. Ce sont presque à chaque fois des variétés locales et dans une grande majorité de cas, leur nom est le début d’une histoire tout aussi locale. Cela nous a offert de mettre en lumière une composante mal connue de la tradition orale de nos terroirs.
L’autre enseignement de cette étude est l’effet du changement climatique sur les pommiers. De très nombreuses variétés y sont sensibles et cela se traduit par un avancement continu, depuis environ une trentaine d’années, de la période de maturité du fruit. Cela n’affecte pas toutes les variétés de la même façon et en conséquence certains assemblages qui étaient possibles il y a trente ans ne le sont plus aujourd’hui (certaines variétés ont leur maturité avancer de plus de trois semaines). Il est donc utile de continuer a chercher de nouvelles variétés pour y pallier. Pour l’heure cela se fait en puisant dans l’incroyable collection rassemblée par des générations de paysans cidriers, mais cela ne dispense aucunement d’observer ce que la nature propose chaque année. Cela sera toujours plus pertinent que de laisser ces recherches à des laboratoires et entreprises dont la propension à breveter le vivant relève d’une tentation de confisquer le savoir-faire des paysans, d’autres cultures en sont le triste exemple, même si les résistances s’organisent.
Les vergers sont de petites forêts de pommiers et participent autant que d’autres forêts à la lutte contre le réchauffement climatique car ce n’est pas la taille de l’arbre qui importe, mais bien sa surface de feuilles. Ils participent également, du moins ceux gérés en PFI (Production Fruitière Intégrée) à la préservation de la bio-diversité. La méthode consiste, afin de limiter au strict minimum le recours aux pesticides, a mettre en place les conditions d’un équilibre entre des insectes pouvant s’attaquer à divers parasites de l’arbre, leurs prédateurs et les prédateurs de ces derniers. La méthode a depuis longtemps prouvé son efficacité. On ne peut donc qu’encourager la plantation de vergers avec des variétés locales, à cidre ou à croquer. Leur seule présence est un but de balades renouvelées à chaque saison et un sujet idéal pour y donner des leçons de nature aux enfants des écoles. En retour, leurs fruits conviennent parfaitement, selon les cas, à la table, la cuisine, la pâtisserie ou à l’élaboration de cidres et de jus de pommes facilement commercialisables en circuit court, à des prix accessibles.
Après les tempêtes de décembre, le beau temps finira bien par revenir, peut-être avec la nouvelle année. Après la tempête de 1987, la création de quelques vergers conservatoires a en réalité été celle de laboratoires montrant ce qu’une petite collectivité peut faire à son échelle pour prendre place dans la reprise en main de l’espace rural, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Il y aura encore beaucoup de tempêtes avant que les ruraux se dotent des moyens de décider eux-mêmes de leur terroirs. Cela contrarie les technocraties urbaines soucieuses de tout contrôler, mais on sait très bien après plusieurs saisons auprès d’un pommier, que la nature ne se contrôle pas, ou du moins pas très longtemps.
Bloavezh mat d’an holl (bonne année à tous).