Lorsque nous avons programmé cette dégustation, nous nous réjouissions de sortir enfin de l’incertitude covidesque qui nous gâchait trop souvent le plaisir. Hélas c’est depuis un tout autre fléau qui s’est levé à l’Est de l’Europe. De notre petit coin de Cornouaille nous sommes impuissants à peser sur le cours des événements. Tout juste peut-on si nous le pouvons, manifester notre solidarité et offrant des produits de première nécessité, en les portant pour les uns sur une frontière ou pour les autres en accueillant des réfugiés. Notre petite assemblée s’est modestement joint à ce mouvement en ajoutant à son programme du jour un cidre venu d’Ukraine car oui, ce beau pays est également un pays du cidre.
Ad Astra – Poiré – Antoine Marois – Cambremer – 75 cl – (?)%vol.
Probablement un de ces essais non commercialisé qui arrive au Sistrot afin d’encourir le jugement de notre honorable réunion. Ici nous connaissons l’auteur et savons qu’il s’agit de poiré, mais pour le reste nous verrons bien. Au service la pâleur attendue d’un poiré est bien là, un peu voilée cependant surtout en fond de bouteille, nous indiquant que le produit n’est pas filtré. Au nez c’est assez évolué avec des notes biscuitées qui masque la poire. En bouche c’est conforme à la promesse du nez, équilibré avec une dominante acidulée et un soupçon d’astringence, mais cela manque de corps et la finale ne tient pas longtemps.
Casus Belli 2020 – cidre tranquille – Antoine Marois – Cambremer – 75 cl – 7%vol.
Joli service et belle présentation habillant le verre de courtes larmes. Le nez est assez discret, mais au bout d’un court moment vient une minéralité fumée avec de douces notes de pommes. La bouche est bien équilibrée avec de l’acidité initiale laissant doucement monter l’amertume. Il y a juste ce qu’il faut de corps, de la longueur et l’expression d’un très beau travail. On regrettera, sans aucune véhémence, qu’il ne soit pas un tout petit peu plus charnu. Casus belli signifie littéralement “cas de guerre” et désigne normalement un acte de nature à motiver une déclaration de guerre. Loin de tout cela ici et ce cidre tranquille n’a causé aucun désaccord dans l’assemblée.
Renard 2.0 – 75 cl.
Sans autre signe distinctif que le nom commun des canidés Vulpes vulpes, un goupil facétieux, Normand semble t’il, a laissé cette bouteille au Sistrot. Une ruse qui lui permettra de se reconnaître. Le service est superbe, du moins pour les premiers verres car là encore ce n’est pas filtré, avec un bel effet de mousse et une jolie couleur dorée. Au nez, sur une pomme une peu évoluée, une senteur de poivre monte immédiatement. Et cela se confirme en bouche, le poivre titille les papilles. L’ensemble est bien équilibré avec de la fraîcheur, du fruit et de la longueur poivrée. Du fond de son terrier, le renard a bien travaillé, dommage qu’il s’y cache.
Chute de barrique – cuvée spéciale de l’Apothicaire – Clohars Carnoët – 75 cl – 5%vol.
Un cidre à la présentation rustique assumée avec une bouteille où le dépôt se remarque un peu. SI les derniers verres tirés du flacon sont un peu troubles, le service est agréable avec un bel effet de mousse et une belle couleur dorée. La prise de mousse naturelle donne comme attendu un nez présent, rustique voir évolué, avec de la pomme, du fût et les parfums caractéristiques des vergers locaux. En bouche c’est fruité, un peu gras et équilibré à la manière des cidres traditionnels de ces campagnes. On regrettera seulement un petit manque de charpente raccourcissant d’autant la fin de bouche.
Extra-brut à la fleur de houblon 2020 – Ferme de Beau-soleil – Matignon – 75 cl – 7%vol.
Sympathique étiquette “Vintage” et belle présentation au service. Comme quelques uns des échantillons précédents, la fin de la bouteille et un peu troublée. Au nez le houblon est évidemment présent et domine la pomme alors que passent à intervalles de petites effluves savonnées. La bouche est est étonnamment sucrée acidulée pour un extra-brut. Le houblon est bien présent, mais s’efface rapidement. La finale assez courte confirme le pommage utilisé entre fruits doux et acidulés et laisse une curieuse petite impression savonnée.
Le jardin de la Reine – Domaine Sicera – Eturqueraye – 75 cl – 10%vol.
Il est toujours agréable pour une maison cidricole de s’appuyer sur une tradition bien établie et le Domaine Sicera peut se flatter d’un fuit à cidre, la pomme Caillouel, découverta en 1886 par l’aïeul de l’actuel producteur. Notre flacon cependant n’en contient pas, c’est un monovariétal de Petit Jaune, vieilli 6 mois en fût de “chenin” du Val de Loire. La présentation est impeccable avec un bel effet de mousse et des bulles agiles. Le nez est puissant, minéral et laisse peu de place au fruit. En bouche c’est sec et acidulé avec cependant suffisamment de corps. parfaitement exécuté, ce cidre fait penser à un vin voir un crémant de pommes et se rapproche de quelques productions du Pays d’Othe. C’est évidemment à conseiller avec les poissons et fruits de mer.
Ice-cider – Berryland – Kyiv (Ukraine) – 75 cl – 7,5%vol.
Le producteur Vitalii Karvyha est un œnologue Ukrainien de grande réputation qui travaille aussi bien la pomme que le miel. Il se trouvait à Varsovie pour le “Mead Madness Cup” avec le Concarnois Sylvain Le Cras qui nous a rapporté cette bouteille, lorsque les Russes ont envahi son pays. C’est peu de chose, mais il nous a semblé qu’il fallait que nous dégustions son cidre de glace afin de lui témoigner notre soutien. Il s’agit la d’une interprétation douce de cette spécialité canadienne, Vitalii Karvyha s’attachant à produire des boissons à la fois peu alcoolisées et savoureuses. Au service cela donne de jolis verres habillés de couleur paille. Au nez la pomme cuite propose des senteurs flatteuses de tatin juste sortie du four. La bouche, douce et équilibrée apporte des notes de miel sur un fond délicatement citronné. Une très belle réalisation qui démontre toute la maîtrise du producteur.
Ce fut une belle soirée, ponctuée comme dans une certaine bande dessinée, d’un repas animé qui nous a permis de visiter la nouvelle carte du Sistrot. Remerciements à Erwan Gire du Sistrot qui officiait en maitre de cérémonie, à Ronan Gire revenu pour un soir sur le théâtre de son activisme cidricole, à Sylvain le Cras de l’hydromelerie Ô la Butine, à Erwan Le Loupp de la Cidrerie de Ponterec, à Messieurs Brigant père & fils, exceptionnels représentants du cidre amateur en Pays Bigouden, à Christian Toullec de la Cidrerie Melenig, à Claude Le Brun cidrier amateur et harpiste émérite. La soirée était évidemment dédiée à l’Ukraine et à Vitalii Karvyha que nous espérons tous savoir bientôt en paix autour de ses abeilles et pommiers.