Ou comment Per Jakez Helias fit une irruption inattendue, mais cependant inutile, dans un dossier d’Appellation Origine.
Il y a quelques temps, un vieil ami de Bretagne Orientale, avait trouvé à occuper sa fraîche retraite en mettant son savoir au service d’un projet de reconnaissance du Pommé du Coglais, une spécialité traditionnelle des cantons à l’Est de Rennes. Il me contacta au sujet des pommes, dont quelques unes pouvaient m’être connues, et de ma petite expérience de l’Appellation Origine.
L’ambition qu’il avait rejoint, faire reconnaître un produit de vieille tradition, nécessitait un travail de longue haleine. Outre sa définition précise, il fallait s’assurer de son aire de production, de sa technique d’élaboration et surtout de mesurer l’attachement de la population qui l’avait imaginé, portée puis maintenue à un haut niveau de qualité. Il était donc nécessaire de vérifier le moindre écrit pouvant faire naître, ou taire, un doute.
Or dans une page de son Cheval d’Orgueil, Per Jakez Helias racontait par le menu l’achat d’une mélasse brune, une substance à bas prix que l’on pouvait obtenir en échange de quelques petits sous, afin de remplacer le sucre. Voilà donc notre homme s’enquérant auprès moi de ce que pouvait être la substance en question.
Relativement peu connu en dehors de son aire traditionnelle, le Pommé du Coglais consiste en une sorte de confiture à base de pommes locales que l’on fait réduire pendant plus de vingt-quatre heures. Il en résulte une pommade douce et tartinable qui une fois conditionnée en pot de verre peut se conserver des mois, voir des années. Le pommé était autrefois une alternative au beurre chez les pauvres qui, s’il n’avaient pas les moyens de s’en procurer, avaient plus d’un tour dans leur sac pour obtenir des pommes, emprunter un chaudron et glaner assez de bois pour tenir le feu d’un jour sur le lendemain.
Évidemment cette fabrication était l’occasion d’une assemblée festive car il fallait tenir les vingt-quatre heures et les servants du chaudron comme ceux du feu n’étaient pas seuls. Leurs soutiens et relais menaient donc grand train pendant qu’ils ahanaient sous l’effort. Il s’organise toujours aujourd’hui dans ces régions, des sortes de festoù-noz interminables où les buvailles de cidre et les galettes-saucisses(1) aident les musiciens et danseurs à mener la ronde autour du chaudron.
Mais cela n’a rien à voir avec la mélasse dont parlait Per Jakez Helias. Il s’agissait plus probablement de ce que nos amis Anglais appellent encore le Treacle(2). Cette matière dans laquelle tombe Alice, celle d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll.
Il existait à Nantes, il n’y a pas si longtemps, des mélasseries qui traitaient les résidus des raffineries de sucre du port. Ces résidus, qui pouvaient être issus du sucre de canne ou de betterave étaient utilisés dans la fabrication de sucre candie ou d’additifs destinés à l’alimentation animale. La mélasse était était également vendue pour la pâtisserie industrielle. Il s’agissait bien d’un résidu de la raffinerie du sucre. Il était peu valorisé et les plus humbles pouvaient donc en acheter.
Un autre camarade, Nantais celui-là, en achète toujours de temps en temps au Comptoir Irlandais, mais comme il n’en a jamais vraiment usage, son treacle finit souvent à la poubelle. Autre temps, autres nécessités, autres habitudes.
Cette petite histoire (basée sur un fait réel) est dédiée à mes amis Pierre et Patrick, étonnamment réunis par ces quelques lignes de Per Jakez Helias, et tous deux bons connaisseurs des spécialités gourmandes de Bretagne.
1 – Ce mot n’est utilisé qu’en Bretagne Orientale en lieu et place du ‘Krampouezh ed du” (crêpes de blé noir) de la Bretagne Occidentale. Dans ces dernières région il désigne un biscuit comme il s’en produit à Pont-Aven (et ailleurs). 2 – Ce petit extrait trouvé au hasard d’une lecture, donne une idée de la consistance du treacle : The sky lightens slowly the next morning, and time pours like treacle as we linger through breakfast. (Le ciel éclaire lentement le lendemain matin, et le temps coule comme treacle alors que nous nous attardons au petit déjeuner).