Aller au contenu

Pommiers sauvages du Québec – 03.

Depuis le Chalet de Ripon

De Lanaudière à l’Outaouais.

La deuxième partie de notre programme nous promettait une rencontre avec un groupe de cidriers et aspirants cidriers, dans les colline de Lanaudière. Ils y organisaient une dégustation-sélection de pommes sauvages afin d’évaluer leurs potentiels. Le lendemain nous serions accueillis près de la rivière Petite Nation pour une découverte des forêts de pommiers sauvages, visités par la réputée cidrerie Les pommes Perdues. Après avoir quitté Québec et deux petites heures d’autoroute plus tard, nous étions assez contents de voir défiler les couleurs de l’automne par des routes dont les lacets se faisaient plus nombreux au fil du voyage. La proximité relative de Montréal a généré dans Lanaudière, outre une agriculture puissante, des activités touristiques et des entreprises artisanales de produits de la ferme. Au bout de la route, à l’heure du lunch, nous attendaient Emmanuel Beauregard et Eric Hébert, notre hôte pour la journée, dans un coin de collines de Saint Jean de Matha,

Conversation autour des pommiers sauvages
Claude Jolicœur & Eric Hébert

Nous avons vite compris l’intérêt de cette rencontre avec Eric Hébert. Cet ancien entrepreneur en menuiserie et charpente, haut en couleur, aujourd’hui retiré des affaires, possède une terre de 70 acres (environ 28 hectares) majoritairement couverte de forêt. C’est un endroit magnifique sur laquelle il pourrait vivre avec sa famille loin du monde, en quasi-autarcie avec potager, basse cour et même trois jolis cochons (bien protégés car le loup rôde en ces parages). Pour autant sa générosité et son sens de l’accueil ont fait de son domaine un lieu d’échange et de convivialité comme il en existe parfois dans les campagnes, d’ici et d’ailleurs. Au moment de son acquisition, il y a trente-cinq ans, il avait immédiatement remarqué la présence de pommiers sauvages. Il les a patiemment dégagé du fatras végétal et dès que cela fut possible, s’est attaché à produire son propre cidre. Après les tâtonnements initiaux, il a appris de ses pommes. Ce qu’il produit aujourd’hui est remarquable. La rencontre de son expérience cidricole intuitive avec celle, nourrie d’analyses scientifiques, de Claude Jolicœur, fut un moment exceptionnel qui a tenu toute une assemblée en éveil jusqu’au soir.

Reunion à Saint Jean de Matha
Débattre sous les ombrages, des pommes sauvages et du cidre que l’on peut en faire.

Car peu après sont arrivés les participants à une réunion organisée par Emmanuel Beauregard dont il faut saluer l’abnégation car il fut parfois bien seul à rappeler à tous l’objectif du jour et surtout à noter les commentaires sur chaque fruit. L’objet de la réunion était de goûter des pommes sauvages, préalablement sélectionnées, afin de confirmer ou non, en les croquant et en mesurant leur taux de sucre (le réfractomètre a beaucoup servi), leur éventuel potentiel cidricole. Un joli moment de travail dans la bonne humeur qui a tout de même duré toute l’après-midi. Les pommes étaient simplement repérées par un code indiquant l’emplacement précis de leur arbre, sauf celles de notre hôte dont les repères assez poétiques, indiquaient que leurs patronymes futurs pourraient être très sympathiques.

Les échantillons de pommes sauvages.
Une partie des échantillons de pommes à déguster.

Si pour la plupart les fruits s’étaient en toute logique révélés acidulé (parfois à l’excès), quelques uns présentaient des taux de sucres élevés et d’autres montraient un intéressant fond d’amertume. Vers la fin des dégustations, un des participants a proposé une pomme dont le goût lui semblait particulièrement puissant (sa présentation du fruit n’était pas très avenante). Mais cela valait la peine d’y croquer même si l’exercice nous a valu à tous quelques grimaces. Son incroyable astringence et son sucre en font de toute évidence un fruit a suivre car il peut apporter une “touche de forêt sauvage” (à bien maîtriser cependant) capable de signer les cidres du coin. À partir de là nous avons imaginé quels les cidres ces fruits pourraient donner. Au delà de ce long près-midi, qui sera conforté ou non par les résultats des essais de chacun, (même si les cidres d’Eric Hébert montrent déjà la voie), les considération des participants, dont un bon nombre possèdent des vergers de pommes et sont cidriers amateurs, ont bien compris l’intérêt de se regrouper pour faire de leur coin de campagne et de forêt, un vrai terroir cidricole.

Masterclass au verger
Après la dégustation, Eric Hébert et Claude Jolicœur ont conduit le groupe
à travers le verger de pommiers sauvages pour une sorte de masterclass arboricole. 

La Petite Nation en Outaouais.

Relier Saint Jean de Matha à Chénéville nous a fait passer par des routes formidables toutes en virages, montées et descentes, et parfois par des chemins de terre. Tout cela au milieu de collines et de petites montagnes, dont celles de la station de ski huppée de Mont-Tremblant, dans une féérie de couleurs automnales. Nous n’avons cependant pas traîner car Marie-Anne Adam et Gaston Picoulet nous attendaient à l’heure du lunch dans la boutique de leur cidrerie joliment installée au centre du bourg.

Grand Pommier de pommes sauvages
Au bord d’un chemin; un des imposants pommiers sauvages visités par Les Pommes Perdues.

L’histoire de la cidrerie Les Pommes Perdues a commencée un peu plus au sud, près de Ripon, dans la ferme familiale pratiquant la polyculture, des parents de Marie-Anne Adam. Avec Gaston Picoulet, le jeune couple n’a pas eu besoin de longues années pour hisser la micro-cidrerie au rang de référence au Québec. Cela alors même que le cidre n’y est exclusivement produit qu’à partir de fruits récoltés dans les forêts de pommiers sauvages de la région. Ces pommes ne sont pas meilleures qu’ailleurs, mais elles sont choisies avec minutie, l’assemblage des variétés est soigneusement calibré et le lent processus d’élaboration se fait sous une surveillance de tous les instant, où l’approximation n’a aucune place. Le résultat est simplement remarquable et vérifie s’il en était besoin, l’adage qu’il n’est pas de bon cidre sans bonnes pommes. La sobre présentation des jolies bouteilles témoigne de cette rigueur, doublée ici de bon-goût et d’élégance. La visite des installations, petites, mais impeccables n’a pas nécessité de longs discours car tout y est à sa place.

Un essais de culture

Nous avons pris plus de temps pour croquer des pommes, bien moins que la veille cependant. Quelques un des fruits de la cidrerie et d’autres, apportés par Claude Jolicœur, dont une Bulmer’s-Norman1 à l’amertume bien marquée. La petite cidrerie se porte bien et a trouvé un bon rythme de croisière. Pour autant la fiabilisation de la ressource en pommes est une préoccupation. Les récoltes fluctuent avec les années d’alternance, ingérables dans des forêt où les arbres poussent sur des propriétés privées. Leurs propriétaires et leurs vocations peuvent éventuellement changer rapidement. Il est alors nécessaire de multiplier les points de récoltes, qui heureusement ne manquent pas, et de parfaire la compréhension des meilleurs spécimens de fruits afin de pouvoir un jour peut-être les cultiver si besoin.

Le lendemain nous avons participé sous un chaud soleil, à une matinée de récolte sur une étendue boisée au pied d’une colline couverte d’érables, alors que ses abords le sont principalement de pommiers sauvages. Il faut une sacré dose de patience car si les pommiers sont nombreux, l’exercice est difficile. Pour y accéder, Gaston Picoulet doit faire chaque fin d’été un minimum de défrichement et une coupe d’herbe assez basse. il s’agit bien de forêts sauvages et bien évidemment aucunement entretenues. Il est nécessaire, sans trop troubler la nature, de dégager des accès autant pour s’approcher les arbres que pour garer le véhicule à proximité. Invariablement la cueillette commence par la mise en place d’une bâche suffisamment grande et solide. Il faut ensuite maîtriser l’art du maniement de la perche de façon à gauler les fruits en la faisant tomber sur la bâche (dans les broussailles il est très difficile de les retrouver). Enfin l’usage d’une souffleuse est indispensable pour chasser les insectes, feuilles et brindilles qui ne manquent pas de se mélanger aux pommes. Après tous ces efforts, les fruits peuvent être triés et ramassés en caissettes, relativement petites car il faut pouvoir les porter sans risque sur un sol à la stabilité relative.

Pendant que nous terminions de dépouiller un pommier, l’infatigable Claude Jolicœur n’a pas pu s’empêcher d’aller fureter dans les buissons. Sous sa houlette, nous avons fini la matinée en prélevant quelques échantillons supplémentaires, pour analyse.

Montage récolte à Ripon

S’il y a de belles pommes dans les forêts, il s’y trouve également beaucoup de pommettes, parfois très petites, dans les alentours de Chénéville et de Ripon, mais leur emploi dans le cidre est possible et n’est pas nouveau. La Virginia-Crab, parfois appelée Hewe’s-Crab ou Hugh’s-Crab était à l’origine un arbre ornemental. Il a cependant été longtemps cultivé pour le cidre. Les Vergers Thomas Jefferson2 à Monticello en Virginie, indiquent que cette variété, commune au XVIIIe siècle dans cet État Américain, est un hybride d’une pommette indigène du genre Malus angustifolia. Les qualités cidricoles de la Virginia-Crab sont établies depuis 1817. La variété, plutôt hâtive selon les régions, donne un cidre sec et très aromatisé. Elle permet en outre une fermentation lente et donne un cidre qui se conserve bien3.

Prochain et dernier article de cette série dans quelques jours : nous regagnerons les Cantons de l’Est (avant Montréal et son aéroport) pour deux dernière visites et feront un premier bilan de cette formidable tournée dans les forêt de pommiers sauvages du Québec.

  1. Variété anglaise de la collection Bulmer qui comme son nom le laisse supposé, serait d’origine normande et serait selon certain, dérivée de la Blanc-Mollet largement répandue en Normandie. ↩︎
  2. Le troisième Président des États Unis d’Amérique était un spécialiste de la Pomme. ↩︎
  3. Note établie à partir de différentes traductions. ↩︎
Étiquettes: