Une fois n’est pas coutume, nous nous intéressons à une pomme américaine dont tous les connaisseurs du cidre au nord de ce continent déploraient la perte quand elle fut retrouvée in extrémis avant que le dernier pommier de la variété ne fut abattu. Il n’y a pas qu’a Hollywood où l’on pratique le “Happy End”
Considérée au XVIIIe siècle comme l’une des meilleures variétés de pomme a cidre des États Unis d’Amérique, la Harrisson connut le déclin au XIXe siècle quand les immigrants de ce temps préférèrent la bière au cidre. Déclarée perdu après l’épisode de la prohibition qui y fut très préjudiciable au cidre, la pomme fut retrouvée en 1976 à Livingston dans le New-Jersey, ce qui fut rapidement confirmé quelques temps plus tard par le pomologue Tom Burford.
William Coxe fut le premier Américain à publier sur la diversité des fruits cultivés en Amérique du Nord.
Il décrivit la Harrisson cider apple en 1817. “C’est la plus célèbre des pommes à cidre de Newark dans le New-Jersey. Elle est cultivée avec grand soin dans la majeure partie dans ce terroir et particulièrement sur la montagne d’Orange. Sa forme, assez allongée pointe vers la couronne. La tige est longue ce qui lui vaut d’être souvent appelée “Longue-tige”. Les cavités de ses pédoncules et œil sont creuses. La peau est jaune, avec de nombreuses taches sombres et une certaine rugosité au toucher. La chair est riche, jaune, ferme et coriace. Le goût est agréable, vif, mais plutôt sec. les pommes tombent vers le premier novembre, sont de taille inférieure à la moyenne et remarquablement exemptes de maladie. Elles se conservent bien après la récolte. Elle permet d’élaborer un cidre très coloré, riche, doux et d’une grande force dont le prix est élevé à New York, souvent dix dollars et plus le baril lorsqu’il est affiné pour la mise en bouteille. L’arbre a croissance forte est vigoureux avec un bois très dur. Il tient son nom d’une famille du comté d’Essex dans le New-Jersey d’où il est originaire.”
Preuve de sa quasi-disparition, S.A. Beach n’en fait pas mention dans son “Apples of New-York” en 1905. Ce n’est qu’en septembre 1976 qu’un collectionneur du Vermont mis sur ses traces par les écrits de W. Coxe fouilla le secteur d’Orange mountain dans le Comté d’Essex au New Jersey. Il y retrouva, dans une ancienne cidrerie désaffectée, un pommier Harrisson, planté dans les premières année du XXe siècle et destiné à être abattu quelques semaines plus tard. L’arbre portait de nombreuses petites pommes jaunes correspondant à la description de Coxe.
En réalité l’Europe n’ignorait pas complètement l’existence de fruits à ce nom.
André Leroy, pépiniériste Angevin (1801-1875) et auteur en 1873 d’un Dictionnaire de Pomologie en 6 volumes, note dans sa “bibliothèque pomologique” : Joseph Harrisson, The Floricultural cabinet and florist’s magazine (4 vol.in-8°) ; évoque la “Guigne Cœuret de Harrisson” encore appelée “Cerise Cœur d’Harrisson” (des synonymes de “Gros-Bigarreau Blanc”) et encore la “Grosse Poire d’Automne de Harrisson” décrite par Elliott en 1834 et Downing en 1863 (deux pomologues américains) qui lui donnent “Bon-Chrétien de Rushmore” comme synonyme. Leroy note par ailleurs : “que l’on peut supposée qu’elle fut gagnée par un M. Harrisson, probablement dans une localité appelée Rushmore”.
Plus avant L. de Boutteville & A. Hauchecorne écrivent dans les pages p.267-269 de leur traité “Le Cidre” rédigé de 1864 à 1872 rédigé à l’occasion du congrès pour l’étude des fruits à cidre.
“• Influence prépondérante des variétés cultivées
Quoique la nature du terrain exerce une influence incontestable sur la qualité des fruits, il ne s’ensuit pas, toutefois, que si l’on veut établir une pommeraie, il faille se préoccuper uniquement de la composition du sol et croire que le premier plant venu, par exemple, fournira d’excellent cidre par cette raison qu’on l’aura mis dans une bonne terre; on se préparerait ainsi de graves mécomptes; le sol, en effet, est impuissant à créer aucun des principes constituants des fruits, ces principes existent en germe dans chaque variété et le sol n’a d’autre mission que de fournir à l’arbre des sucs nourriciers qui doivent développer les organes et les éléments intimes qu’ils renferment.
Cette impuissance créatrice du sol est facile à mettre en évidence. Entrez dans un de ces petits enclos de quelques mètres carrés d’étendue où la plupart des propriétaires fonciers élèvent les jeunes égrains qu’ils destinent à la greffe; analysez les fruits de ces sauvageons pendant plusieurs années consécutives, et vous trouverez sur ces arbres qui reçoivent la même nourriture et les mêmes impressions atmosphériques, des fruits d’une composition élémentaire toute différente; l’un tiendra beaucoup de sucre, par exemple, peu de tannin et son jus sera pâle, doux et peu parfumé; son voisin le plus proche sera moins sucré, plus tannifère et son jus onctueux et très coloré offrira une amertume des plus prononcée, tandis qu’un troisième au jus pâle comme poiré donnera dix fois l’acidité qu’on a rencontré chez les deux premiers.
- Influence du sol
Faites mieux encore, répétez, comme nous l’avons fait, les expériences dont M. de Vergnette-Lamotte (1) avait pris l’initiative dès 1847, en vue de savoir si le sol pouvait doter les raisins des éléments utiles qui manquent à leur constitution. Dans le même enclos où végètent les égrains, vous trouverez aussi quelques sujets greffés d’une même variété, choisissez deux d’entre eux, et, un mois avant l’époque où les fruits sont prêts à cueillir, passez avec précaution le râteau sur la portion de terre qui recouvre l’extrémité du chevelu des racines pour les mettre presque à nu, puis arrosez chaque jour les deux sujets, l’un avec une solution légèrement sucrée (30 grammes pour 4 litres d’eau), l’autre avec une macération d’écorce de chêne (30 grammes pour 4 litres d’eau), continuez l’opération pendant une trentaine de jours environ, soit, jusqu’à ce que les fruits se détachent naturellement de l’arbre analysez alors séparément les pommes des sujets opérés et celles qui proviennent des sujets qui n’ont pas subi l’arrosage quotidien, vous n’obtiendrez des premières, ni un millième de sucre ni un millième de tannin de plus que n’en fourniront celles qui n’ont pas été soumises à l’expérimentation.
C’est donc bien au plant et au plant seul qu’appartient la faculté d’imprimer au cidre son goût propre ou cachet distinctif, comme c’est le sol, par la perfection ou l’insuffisance des éléments dont il est composé, l’exposition, par ses conditions propices ou défavorables et enfin l’année, par sa constitution atmosphérique plus ou moins heureuse, qui déterminent le degré de qualité auquel cette boisson peut atteindre; en un mot, c’est le plant qui domine le crû.
Cela est tellement vrai, que si quelques cultivateurs de Newark, dans le New-Jersey, aux Etats-Unis, placent, chaque année, à des prix très-rémunérateurs, les récoltes de pommes faites sur la montagne d’Orange, et qu’un gentilhomme anglais du comté d’Hereford, M. Bellamy, a pu vendre ses cidres jusqu’à 60 guinées (1,587 francs) la barrique de 440 litres (3), on ne saurait méconnaître qu’une partie des avantages obtenus reviennent aux variétés d’élite qui peuplent seules les cultures de ces pays et dont les plus répandues, telles que Harrisson, Hughs, Virginia-Crab, Hagloe-Crab, Golden-Harvey, Taliafero, Foxley, Siberiam-Harvey, produisent des jus d’une densité qui, sans être jamais inférieure à 1080, s’élève jusqu’à 1097 et parfois plus (2). Mais des variétés comme Perdrix, à 1046; Doux-au-Gobet, à 1050, Sans-Œil et Grosse à côtes, à 1053 Belle-Fille, Fleur-de-Mai, Cardinale, Bazin et Pomme de Vire, à 1086; Avoine, Massette, Marie-Auffray, à 1060; Amère-Verte, Œillet-Gros, Pommette-à-Bourdon et Gros-Bois, à1063, couvrissent-elles tout le comté d’Hereford ou la montagne d’Orange, qu’on n’en retirerait pas de cidre valant même une guinée l’hectolitre”.
Il est donc à nouveau possible de se délecter du précieux cidre produit à partir de la Harrisson, les cidreries qui en produisent sont souvent dans la région de sa re-découverte. Pour autant elle fait toujours l’objet d’études afin de déterminer les terres et les climats les plus propices à sa culture. La photo au début de cet article a été prise dans le sud du Québec, dans une ferme expérimentale où des agronomes passionnés observent fruits et légumes. On peut y voir des pommes anglaises, bretonnes, normandes, basques ou asturiennes, américaine et bien sur québécoises issues parfois des forêt de pommiers sauvages. C’est un bel endroit où il fait bon “placoter” pommes à cidres et à couteaux avec de belles personnes.
1 – Le vin, par de Vergnette-Lamotte, p.343-344. — 2 – Rapport de M. Marshall, cité par M. William Kenrick dans le New American Orchardist p.109. — 3 – Il s’agit bien entendu des prix pratiqués en ce temps.