Petit conte sur la soif
Une ancienne légende entretenait à petit feu le souvenir du Roi Murman. Elle en disait la sagesse et évoquait en peu de mots une de ses expéditions guerrières dans le nord de l’Armorique. Le guerrier Breton y avait infligé une sévère défaite à l’armée des Francs en l’attirant dans un piège connu de lui seul. L’effort de la bataille et les chaleurs de l’automne laissèrent cependant les vainqueurs sur une soif insatiable. Hélas aucune fontaine, aucun ruisseau ne rafraîchissait les alentours. Seul un pommier magnifique étalait son ombre au sommet d’une colline. Murman ordonna à ses hommes d’en cueillir les fruits, mais le moine de sa suite s’interposa et empêcha les soldats d’approcher ces symboles du péché dont les christianisateurs interdisaient la consommation.
La querelle fut rude et l’abbé, dont la stature colossale avait décidé bien des conversions, secoua tant et si bien l’arbre que ses branches en restèrent nues. Pour ôter à la troupe toute tentation, il ramassa de grosses pierres et écrasa rageusement les pommes dont le jus se mit à couler et à remplir l’auge de pierre avec laquelle l’homme d’église prétendait avoir traversé la mer de Bretagne. Sous l’effet du soleil, le liquide se transforma doucement en une boisson dorée et parfumée. Tous les membres de l’expédition vinrent s’y désaltérer et affirmèrent que jamais dans le monde, ils n’avaient bu pareil nectar.
Le moine, y ayant goûté lui aussi, le trouva si bon qu’il en reprit sans retenue et atténua l’interdit de manger des pommes en autorisant la consommation du breuvage que l’on pouvait en faire. Malheureusement, personne en ce temps ne réussit à reproduire le miracle.
Le cidre du Roi Murman © Mark Gleonec 2008
Cette histoire nous le rappelle, il peut nous arriver d’avoir simplement soif. Si cela est peu fréquent dans nos sociétés de surabondance c’est toujours trop fréquent là où l’eau est rare, car le conte nous le dit, en cas de vraie soif, la première boisson à chercher est l’eau.
S’il n’y en a pas, le premier breuvage fait l’affaire et nous laisse généralement un souvenir impérissable. C’est peut-être pour cette raison que toutes les occasions que nous savons inventer pour boire un cidre, sont guidées par l’idée d’y trouver du plaisir. Or, ce plaisir ne sera au rendez vous que si nous respectons une bonne approche de l’exercice. Un cidre sera mieux apprécié selon le moment de consommation, en particulier à table où cela passe par un bon accord du cidre avec le plat qui l’accompagne.
Règles de base
Cela n’est pas vraiment difficile s’il n’y a qu’un cidre et qu’un plat, mais un repas c’est en général, une entrée, un plat et un dessert. Il convient alors de respecter trois règles simples. Au cours d’un repas, il faut toujours progresser dans la qualité, de façon à ne jamais faire regretter le cidre précédent. Il est également important de commencer par un cidre plutôt sec, de continuer par un cidre puissant et de finir par un cidre assez moelleux. Enfin, surtout si l’on reçoit, il s’agit être un minimum original et donc de prendre un petit risque, à condition toutefois de toujours satisfaire le goût des convives.
Accords horizontal et vertical.
Au cours d’un repas, l’accord de fait selon deux axes, un accord dit horizontal, car il concerne un cidre avec un plat, et un accord dit vertical car il tient compte des cidres et des plats qui se suivent.
L’accord horizontal consiste a trouver la bonne harmonie entre le cidre et le plat. Pour cela il existe quelques des principes assez simples. Tout d’abord la puissance, un cidre léger et peu expressif s’accorde mieux avec un plat léger, a contrario un cidre charpenté et expressif s’accorde plutôt avec un plat corsé. Ensuite le terroir, le cidre de tel canton s’accorde en priorité avec un plat du Paou* dont il fait partie. Enfin la non-concurrence aromatique, car le cidre et le plat doivent se mettre en valeur et non se concurrencer l’un et l’autre.
L’accord vertical répond également à quelques règles simples. Les cidres acidulées se servent avant les cidres amertumés, les cidres légers avant les cidres puissants et les cidres devant d’être servis très frais avant ceux qui en ont moins besoin. Enfin d’une manière générale, il faut éviter de servir plus de trois cidres différents, car les goûts se mélangent et cela peut desservir le dernier servi.
Expérience culinaire.
Les cidres à table doivent magnifier les plats autant que le repas. Le verre et l’assiette doivent se compléter et se mettre en valeur. Il s’agit donc de sélectionner des saveurs capables de bien réagir quand elles sont associées afin d’apporter au palais des sensations nouvelles, impossibles a obtenir quand les deux consommés séparément. Cela peut se produire parfois avec similitudes, mais parfois avec des contrastes.
Trouver le bon accord, nécessite de bien connaître les cidres et les plats. Une bonne connaissance des cidres permettra de choisir celui qui s’accorde à la saison, au moment de la journée, à l’ambiance du repas ou encore à la personnalité des convives. Il ne reste alors qu’à imaginer le plat. En effet ce qui est dans la bouteille est connu, même si le cidre évolue doucement, il est donc bien plus simple de préparer un plat qui convienne, car le cuisinier peut toujours agir à sa guise sur sa recette.
On peut bien évidemment commencer par décider du plat et chercher ensuite le bon cidre, cela dépend de la richesse de sa cave. Dans tous les cas, l’accord cidre-plat (ou plat-cidre) n’est pas d’une science exacte, chacun ayant fort heureusement ses propres goûts.
Exemples d’accords.
De façon classique, le cidre acidulé, sec et vif, accompagne les fruits de mer et les poissons frits, tandis que le cidre acidulé, fruité et souple se marie avec les poissons et les crustacés en sauce, les viandes blanches et les volailles. Le cidre doux n’a pas cette polyvalence et son registre va du fromage aux desserts. Le demi-sec tannique, opulent et riche, trouvera à s’accorder avec des plats élaborés et des viandes. Le cidre fermier sec, puissants et amertumés ira naturellement avec les charcuteries et les plats campagnards.
Il existe des produits rebelles aux accords harmonieux comme l’ail, l’asperge, les anchois, le jaune d’œuf, le fromage blanc, le yaourt, les fruits acides (citron, pamplemousse, orange), les vinaigrettes, les moutardes et de façon générale, tous les plats épicés qui anesthésient les papilles.
Le repas de crêpes
C’est le moment classique de consommation de cidre, mais ce n’est pas si traditionnel et date en fait de l’après deuxième guerre mondiale, au moment ou l’on “inventa” la crêperie moderne. Pour des raisons économiques, la plupart de ces crêperies ne proposent qu’un seul cidre ni trop sec, ni trop acidulé, ni trop amertumé et qui passe avec tout. Cependant les accords, énoncés ci-dessus, sont tout aussi valables et le choix du cidre dépend autant de la garniture que de la crêpe elle-même.
L’apéritif
Moment convivialité s’il en est, l’apéritif réunit des amis ou des membres d’une même famille juste avant le repas. Son incidence sur celui-ci est importante car il permet aux papilles d’entrer en action. Il se doit donc d’être léger, son but étant d’amener les convives à apprécier comme il se doit le repas qui suit. En ce sens, les boissons anisées, vins doux naturels, et autres apéritifs, ne sont pas toujours les meilleures solutions, pas plus que les alcools dont la place naturelle est à la fin du repas.
On privilégiera donc un cidre sec fin et élégant. La palette des cidres bretons, propose des cidres clairs et délicats, doucement acidulés et frais et qui conviennent bien au cocktail comme à l’apéritif. Rien n’interdit cependant d’y proposer un bon cidre de terroir suffisamment charmeur et assez léger pour permettre d’appeler des bouteilles plus puissantes et donner toute sa cohérence au bon déroulement du repas.
- Paou : C’est une subdivision du Bro (Pays). On pourrait dire Canton ou Circonscription, mais ça ne correspond pas vraiment, l’un est trop petit l’autre est trop grand.