Diskaramzer (l’automne), littéralement le déclin du temps, est une période chargée pour le monde du cidre. C’est le temps des récoltes et personne n’y échappe vraiment. Les plus concernés sont évidemment les producteurs de pommes et les cidriers qui s’activent chaque jour dès la fin septembre et jusqu’aux derniers jours de décembre. C’est qu’il faut travailler les pommes et en extraire le jus à la maturité optimale des fruits.
Pour le commun des citoyens, L’automne c’est la saison des fêtes de la pomme ou du cidre, dont nombre de villes et villages redécouvrent les vertus. Les pomme à cidre, et à croquer, offrent en effet de s’intéresser aux petites forêts de pommiers que constituent les vergers (forêts dont nous avons grand besoin par ces temps d’incertitudes climatiques). Si le cidrier peut se libérer et venir animer la fête de son canton, il lui est plus difficile de s’absenter longtemps. Or, si le phénomène est identique dans tous les terroirs, le tempo des calendriers agricoles varie d’une région à l’autre. La période est donc également celle des réunions internationales où les artisans Cornouaillais peinent a se rendre.
En étant plus impliqué dans la dégustation que le service du verger, il est plus facile de représenter la Cornouaille dans quelques uns de ces événements. En raison de télescopage calendaire il fallut à regrets, faire l’impasse sur le SISGA de Xixoñ aux Asturies, mais la Sicera d’Antey-Saint-André en Val d’Aoste, tombait à bonne date. Nous nous sommes donc retrouvé à un petit groupe dans ce joli village de montagne.
La Sicera ou Alpine Cider Celebration, animée par Gianluca Telloli, propose toujours des lieux de réunion absolument magiques. Nous avons emprunté le Skyway Monte Bianco, pour une ascension (sans effort) vers Helbronner. Un endroit magique à 3 466 m, qui offre outre un panorama exceptionnel sur les plus hauts sommets d’Europe, une librairie avec vue imprenable sur le Mont Blanc et un restaurant. Nous y avons longuement parlé pommes et élaboration des cidres car l’équipement comprend un peu plus bas, dans le Pavillon (2 173 m), une cave de fermentation pour les vins et les cidres.
Le royaume de Savoie s’étendait autrefois sur un territoire aujourd’hui partagé par trois états, mais la réalité des montagnes se satisfait mal de cette partition et depuis quelques temps un Espace Mont Blanc se reconstruit sous la houlette de l’Europe. Cela nous valut de franchir les frontières, que les arbres ne respectent guère, et de rencontrer des montagnards bien décidé à replanter des pommiers dont la culture avait reculée, devant un urbanisme conquérant et des pâturages pas toujours adaptés à la réalité. À Servoz, localité proche de Chamonix, l’heure est également au projet de petites forêts de pommiers, à la re-appropriation d’une tradition cidricole quelque peu délaissée et à la pérennisation d’une agriculture en circuit court. La définition du mot cidre est une préoccupation car à quoi bon planter des pommiers si l’agro-industrie peut sans contrainte produire un ersatz de cidre sans utiliser de pomme fraîche. Personne ne souhaite une réglementation rigide, mais beaucoup songent à une règle simple à l’équivalent de la loi Griffe pour le vin.
La traditionnelle grande dégustation des cidres du monde (principalement d’Europe cependant) s’est déroulée à l’Alpe Gorza dans le paysage somptueux du village de Chantourné sur la commune de Torgnon. Elle réunissait des dégustateurs et œnologues, mais également des élus et personnalités qui œuvrent pour cette agriculture de montagne dont le cidre local se retrouve d’une certaine façon l’étendard, en reboisant des coteaux abandonnés et redonnant de la valeur à une boisson qui ici comme ailleurs, fut assez décriée il y a quelques décennies. Gageons que ces discussions déboucherons bientôt sur de nouveaux vergers, de nouveaux cidres et une vraie reconnaissance des boissons de pomme de ces montagnes. Les débats furent finalement assez longs et la dégustation un peu écourtée, car nous devions rejoindre Antey Saint André pour la “pressée européenne”.
La redécouverte des anciennes variétés est bien une préoccupation partagée un peu partout, avec ici aussi une Appellation Origine en projet. En vallée d’Aoste, Lucas Tamone, mandaté par la région, en a répertorié une centaine dont quelques unes étaient exposées pour l’occasion. Il en avait également apporté d’autres pour cette fameuse pressée. Le principe en est simple, plusieurs terroirs d’Europe apportent des pommes qui sont broyées ensemble et pressées devant le public. Le jus sert pour une petite cuvée que nous découvrirons l’année prochaine. Le public était très intéressé autant par les histoires des pommes que chaque contributeur a présenté, que pour goûter au jus fraîchement sorti du pressoir, tant et si bien que la quantité restante pour constituer la cuvée 2019 fut réduite à la portion congrue, mais il y en aura tout de même un petit peu.
Ce premier voyage automnal augurait bien de ce que serait cette fin d’année. Un peu partout dans les anciens terroirs cidricoles, les tenants du cidre authentique, élaboré à partir de jus de pomme fraîches, se découvrent des homologues aux quatre coins de l’Europe. La volonté est à chaque fois de re-occuper l’espace agricole en le remettant au centre de l’alimentation dans chaque canton. La pommes peut être un moteur de ce mouvement, à la condition que les produits que l’on peut en faire soient protégés dans leur définition. Ces rencontres y contribuent en forgeant le discours et en coordonnant les projets des uns et des autres.