Le cidre est à la mode, même les Parisiens s’y mettent, et du coup il ne se passe guère de semaine sans qu’une dégustation de boisson de pomme ne soit organisée ici ou là. C’est très, très bien et il faut s’en féliciter. Cependant, nos réunions quimpéroises ont de ce fait moins de pertinence et cela fait un moment que nous réfléchissons à une nouvelle formule (le Cornouaillais réfléchit longtemps). Les “Dégustations du Sistrot” vont donc évoluer en essayant d’avoir à chaque réunion une thématique originale et un invité de référence. Elles devraient à terme se situer à mi-chemin entre la dégustation telle que nous la pratiquions et le “Cider-diner” de nos amis Anglais, ce qui devrait permettre d’aborder d’autres aspects du cidre que la stricte dégustation.
Bien que la formule ne soit pas encore complètement définie, nous avons saisi l’occasion de la halte en Cornouaille de Claude Jolicœur au milieu de la harassante tournée de promotion de son nouveau livre “Cider Planet”. Nous lui avons donc laissé le soin d’apporter deux bouteilles “exotiques”. Une première obtenue à Londres auprès de Wayne Bush le producteur, venu de Belgique pour le rencontrer et la seconde récupérée auprès d’Elizabeth Pimbett, la directrice du Musée du Cidre de Hereford (une visite a ne pas manquer pour qui s’intéresse au cidre). De leur coté les Cornouaillais avaient apporté une bouteille de quatre cuvées atypiques de leurs productions habituelles.
N’hésitez pas à commander ce livre, certes c’est en Anglais (comme la majeure partie des documents interessants sur le sujet), mais c’est un bon moyen de découvrir la Planète cidre.
Claude Jolicœur au Sistrot.
Ganzenhof – Belgian Craft Cider. Demi-sec – 8%vol – 750ml – 2022 – Imdenhof BV – 1861 Meise – Belgium.
On trouvera sur le site internet du producteur une jolie histoire mêlant villégiature confortable et retour à la campagne, mais également des villageois ravis de retrouver leurs pommes et le cidre qui là comme ailleurs était l’a’ancienne boisson des champs. Tout cela à cause d’une guerre privant les uns de marchés pour leurs fruits et offrant à un Américain fraîchement retraité l’opportunité d’enrichir sa nouvelle vie. À noter que l’homme, mordu par la pomme, na pas hésité à quitter son village près de Bruxelles, pour Londres où il savait que Claude Jolicœur venait présenter son nouveau livre. C’est ainsi que le Québécois hérita d’une bouteille dont pû bénéficier la Dégustation du Sistrot, illustrant ainsi ce qu’est la “Cider planet”.
Le résultat est un joli cidre blond légèrement perlant, au nez expressif mêlant des parfums exotiques et de coings à ceux de la pomme à croquer. La bouche est agréable, ronde et comptée avec, mais peut être du à l’histoire, un petit coté Nord-Américain. La finale quoiqu’assez courte laisse une légère impression de réduit et la trace d’une belle histoire du plat pays. A près recherche, il semble que ce cidre soit pasteurisé et élaboré à partir de pommes à croquer. En tout cas longue vie au cidre Ganzenhof et retraite active à son auteur.
Eastwood Manor – Single orchard selection. Medium – 5,3 ABV – 75cl – 2021 – Wilding Cider – Wilding Orchard – Westfield Farm – Limeburn Hill – Chew Magna – Somerset (UK).
Wilding Cider c’est l’histoire d’un jeune couple venue de la restauration. Une histoire souvent répétée qui nous vaut un peu partout un regard neuf et sensible sur des traditions établies. Wilding, ce sont des pommiers sauvages qui poussent ici ou là et il semble bien que les premières expérimentations de la maison se firent à partir de ces pommes là. La tradition est ici scrupuleusement respectée, les fruits sont ramasssés au sol, subissent une garde de murissement, la pulpe broyée macèrent vingt quatre heures et les cidres, élaborés avec des levures sauvages, ne sont pas commercialisés avant un an de garde. Les vergers abritent la collection classique de l’Ouest de l’Angleterre, les Bulmer’s Norman, Michelin, Dabinett, Major, Yarlington Mill, Chisel Jersey, Foxwhelp, Porter’s Perfection, Kingston Black, Stoke Red, etc. Wilding orchard considère ses vergers comme faisant partie de la nature et s’essaye à préserver cette nature autour de ses cultures en laissant les deux coexister. Ce concept qui rejoint les pépinières des paysans est régulièrement à l’origine de trouvaille pomologique de premier plan, la Dabinett au Somerset comme la Kermerrien en Cornouaille, en sont de fameux exemples.
Nous disposions d’un bouteille du millésime 2021, aimablement ramenée par Claude Jolicœur dont la curiosité pour les cidres Anglais ne se dément pas. Dès le verre une certaine rusticité apparaît dans sa couleur jaune légèrement voilé. C’est un cidre plat, à peine perlant selon certains de nos dégustateurs. Le nez, boisé et végétal est caractéristique de la tradition du Somerset avec la marque de la Dabinett. La bouche est ample et bien équilibré avec tout de même une certaine lourdeur qui s’évanouit dans une finale assez courte où les fruits mûrs et la longue maturation apporte une touche de terroir inimitable. Un cidre qui fait honneur à une philosophie de la campagne et que l’on aura plaisir à servir à table au retour des champs.
Franck Brigant (cidrier amateur) Demi-sec – 4,8%vol – 75cl – 2021Pont l’Abbé – Pays Bigouden – Cornouaille.
Franck et Joël son père, comptent parmi les plus réputés cidriers amateurs de Cornouaille, peut-être de Bretagne et de Normandie, tant leurs cidres font l’unanimité partout où ils en apportent. Ils ne sont pas les seuls à en élaborer. De la Cornouaille et du Léon, un bon nombre de leurs pairs se retrouvent dans la section amateur du Cidref afin de s’améliorer année après année et parfois sauter le pas de la cidrerie professionnelle. Il en est de même ailleurs, en Bretagne, en Normandie, en Angleterre, en Belgique, en Allemagne et dans tous les terroirs de la boisson de pomme. Ces amateurs sont en réalité les héritiers de ces paysan-cidriers qui ont façonné la pomologie des anciens terroirs. Ils ne sont cependant pas souvent visibles depuis la professionnalisation du marché. Seul le vénérable Concours de cidre de Fouesnant leur fait une place. Organisé conjointement par le Cidref et la Mairie de Fouesnant cet événement plus que centenaire, perpétue la tradition des concours de cidres paysans qui étaient autrefois nombreux dans les campagnes, mais qui se sont souvent arrêtés à cause des guerres, des épidémies ou simplement par lassitude. À Fouesnant où il vient chaque année, Franck Brigant pousse la compétition toujours plus haut, grâce à une concurrence chaque année plus affutée.
Au Sistrot, Franck avait apporté un demi-sec composée de variétés typiques du Sud-Cornouaille. Dès le service, la couleur dorée orangé éclaire le verre et l’effet de mousse est impeccable. Le nez expressif et épicé avec des notes poivrées, est un condensé de Cornouaille où le fruit se mesure à la fleur et aux épices. La bouche est évidemment amère et puissante avec un bel équilibre ou la présence de la Gwilhevig (Guillevic en écriture vannetaise) est bien maîtrisée. La finale, longue et fruitée affirme son terroir bigouden. Un très beau cidre a dit Claude Jolicœur (qui l’a classé en haut de sa liste), lui aussi cidrier amateur de grande renommée.
Cidres Kerné – Cuvée Sélection 2022. Demi-sec – 5%vol – 75cl – 2022 – Mesmeur – 29710 Pouldreuzic – Pays Bigouden – Cornouaille.
Comptant parmi les plus anciennes cidreries artisanales de Cornouaille, la Cidrerie Kerné a été fondé en 1947 par Pierre Bosser. Développée par Yves Bosser, elle est désormais gérée par la troisième génération qui en a fait un des fleurons de la cidrerie cornouaillaise. Longtemps artisan et travaillant les fruits de producteurs locaux, la maison s’est peu à peu constitué un verger afin de sécuriser sa matière première. À Coté d’une gamme largement distribuée, la cidrerie propose dans son magnifique et vaste magasin, jouxtant les ateliers de production, des cuvées spéciales élaborées avec les meilleures fruits de ses vergers.
La cuvée sélection 2022, apportée par la responsable de la boutique de la cidrerie, est de celle-là. Au service elle montre une belle couleur orangée couronnée d’un bel effet de mousse. Au nez la palette aromatique se révèle dense avec du fruit et des notes comptées de caramel. En bouche l’amertume se révèle dans un bel équilibre fruité, prélude à une finale un peu sucrée qui ponctue d’une légère astringence un cidre plaisant, joliment nimbé de parfums et de saveurs.
Cidres Coïc – Extra-brut 2021 – 7%vol – 75cl – 5 chemin de Kerscouëdic – 29710 Ploneïs – Cornouaille.
Paul Coïc Producteur-récoltant à Ploneïs à l’Ouest de Quimper sur la route vers la Pointe du Raz est un cidrier traditionnel connu pour l’excellence de ses productions. La boutique de son atelier propose comme souvent en Cornouaille, outre le cidre, des jus de pomme, du vinaigre de cidre, du Pommeau, du Lambig et de la “Gwenn”, un alcool blanc à déguster en cocktail. En plus de sa gamme de quatre cidres (doux, demi-sec, fermer et brut) il élabore une petite cuvée de cidre au houblon et une autre d’extra-brut. C’est cette dernière, non étiquetée car son contenu termine à peine sa maturation, qu’il avait choisi de nous proposer afin de saluer Claude Jolicœur.
Au service la couleur est magnifique avec un effet de mousse caractéristique. Témoin du temps de maturation, le nez est complexe avec du fruit, des épices et une légère pointe d’animalité bien dosée. En bouche c’est évidemment sec avec un équilibre amère typique de la Cornouaille, mais il n’y a rien d’agressif et cela s’apprécie avec gourmandise. La finale est longue avec une trace de minéralité saline. Au final un cidre maîtrisé qui appelle a être confronté à la gastronomie de la mer.
Cidre Menez-Brug – AOP Cornouaille 2013 – 4,5%vol – 75cl. -54 Hent Carbon – Beg Meil – 29170 Fouesnant – Cornouaille.
Cette bouteille est évidemment rare et cette cuvée est depuis longtemps épuisée. Il n’en reste que quelques échantillons capables de témoigner de la pertinence de la “méthode transfert” appliquée aux cidres demi-sec. Elle date du temps où Claude Goenvec dirigeait encore la cidrerie qu’il avait créée (désormais ce sont ses enfants qui veillent à son développement). L’ancien cidrier, qui fit de son entreprise le pilier de la grande tradition du cidre de Fouesnant, est toujours actif et présent quand il s’agit de défendre l’héritage des anciens. Il nous a donc honoré de cette bouteille. Il s’agit d’une récolte 2013, embouteillée après transfert en juin 2014. La méthode transfert est une technique employée notamment par les vignerons de la Drôme et utilisée pour les boissons à prise de mousse naturelle en bouteille, ne pouvant pour diverses raisons subir un dégorgement tel que pratiqué en méthode champenoise. Il s’agit simplement d’une filtration post prise de mousse réalisée sous atmosphère controlée afin d’éviter la perte du gaz naturellement obtenu dans la bouteille. Le résultat est un produit débarrassé des dépôts engendrés lors de la prise de mousse. Ces dépôts n’existant plus, le produit embouteillé ne risque plus de se détériorer dans le temps, du moins pendant plusieurs années.
Dans le cas du Menez-Brug 2013, nous avons pu constater que dix ans après le cidre tenait parfaitement la comparaison avec les AOP d’années plus récentes. Au service (les bouteilles sont munies de bouchons de première qualité) l’effet de mousse et la couleur sont présents tels qu’attendus pour un AOP Cornouaille. Au nez le fruit domine avec une complexité aromatique et des épices renforcée par les ans. En bouche l’équilibre rondement amertumé impose toujours sa marque, tout juste peut-on noter des tanins assagis par les années et la persistance d’agrumes et de miel. La finale un peu fumée est longue avec ce petit soupçon d’astringence qui appelle à se resservir. Dommage, il n’y avait qu’un seul flacon. En tout cas la dégustation de cette bouteille nous aura démontré la capacité d’un AOP Cornouaille, en “méthode transfert”, a traverser le temps.
La soirée s’est évidemment éternisée avec un dîner au cidre classique du Sistrot (il y avait notamment un extra-brut de chez Julien Thurel). Nous avons longuement évoqué les cidres du monde et Claude Jolicœur n’avait pas assez de copies de son livre pour satisfaire toutes les demandes. Il semble que le Sistrot devrait bientôt en recevoir quelques exemplaires afin d’y remédier. Le dîner fut ponctué d’un verre du nouveau (et excellent) Lambig aux parfums tourbés de la Distillerie des Menhirs.
Nous remercions Claude Jolicœur et Banou son épouse pour leur présence. Étaient autour de la table, Marine et Brieug Saliou de la Cidrerie de Kermao, Paul Coïc de la cidrerie éponyme, Claude Goenvec de la Cidrerie de Menez Brug, Alexandre Stéphan de la Maison du Perguet, Laura Bosser de la Cidrerie Kerné, Erwan Le Loupp de la Cidrerie de Pontérec et Christelle et Erwan Le Lay de la Distillerie des Menhirs. Joël et Franck Brigant, Claude Le Brun et l’hydromélier Concarnois Sylvain Le Cras représentait l’Association Pomologique de Penfoulig. Merci à nos hôtes du Sistrot, Eric et Erwan (également membre de l’association pomologique).