Saint Jacques / Sant Jakez : des trois Saint Jacques répertoriés en Bretagne, deux sont étrangers, (Saint Jacques le Majeur fêté le 25 Juillet et Saint Jacques Le Mineur fêté avec Saint Philippe le 1er mai), mais le troisième est bien Breton, il s’agit de Jacques Friec, surnommé Tad mad (père bon) par les paroissiens de Tressigneux qui lui vouent toujours dévotion. Sa gloire n’a cependant pas dépassé les limites de sa paroisse.
Toutefois, le plus célèbre et le plus vénéré, est bien entendu le Jacques (dit le Majeur) martyrisé en 44 en Palestine par Herode Agrippa, dont La ville de Compostelle en Galice est devenu le lieu de son grand pélerinage. Mais pour n’être pas Breton il peut tout de même se targuer d’être honoré dans plus 460 localité bretonnes et d’être d’une certaine façon naturalisé Breton car pas moins de trois légendes le font arriver en Bretagne par la mer, à l’issue de navigations post-mortem (nous devions manquer de “saints locaux” pour s’obliger à en importer d’autres). En tout cas il fait l’objet de grandes dévotions là où il débarqua, à Frégeac, à Locquirec et à Sarzeau. Bernard Rio dans son “Livre des Saints Bretons” lui consacre d’ailleurs plusieurs paragraphes bien fournis.
On ajoutera qu’en Cornouaille, près de Bannalec la Trêve Saint Jacques est assez courue, et connut même une grande renommée au temps pas si éloignées où Guy Flégeo, “ar barzh Saint Jakez” (le Barde de Saint Jacques) tenait auberge en un lieu situé sur le “Camino de San Jacque de Compostela”. Mais c’est bien Le Barde qui porta haut en fin de XXe siècle la renommé de la Trève Saint Jacques.
Avec une présence aussi dense sur toute la Bretagne, il n’est donc pas étonnant que quelques écoles chrétiennes du pays se soient abritées sous le patronage de ce Saint. Qu’un religieux de l’École Saint Jacques de Clohars Carnoët se soit intéressé aux pommes à cidre n’est pas plus surprenant car la localité est réputée depuis des siècles pour la qualité de ses cidres et l’actuel succès planétaire de la Kermerrien, une autre pomme du cru (nous y reviendrons dans un autre article), n’est pas non plus un hasard.
Amer / C’hwerv : dans la nature, certaines plantes ont une saveur amère et instinctivement l’homo-sapiens-sapiens les rejette. Cette répulsion lui a parfois sauvé la vie car quelques plantes amères, chargées de constituants toxiques, sont des poisons. Pour s’en protéger, notre organisme y est sensible, bien davantage qu’aux autres saveurs. Pour autant, l’amertume permet des expériences gustatives aussi passionnantes et qu’étonnantes et sa maitrise est primordiale.
La saveur amère, froide et rafraichissante, valorise des autres saveurs en adoucissant les sensations de chaleur et les irritations agressives. C’est pour cette raison que les mélanges d’épices dosent les ingrédients contrebalançant la saveur amère par des saveurs acides ou sucrées, afin que chaque saveur influe sur une autre pour former une harmonie de goûts.
Une éducation au goût est indispensable pour apprivoiser le plaisir de l’amer, un plaisir signe de maturité gustative affranchie des saveurs douces et sucrées de l’enfance. Cela permet alors d’apprécier des registres vastes de goûts complexes et d’apprécier des gammes aromatiques, même intenses. Les amateurs ayant su maîtriser cette saveur amère peuvent alors accéder à des plaisirs gustatifs, inaccessibles aux autres.
Il est cependant des régions du monde où l’amertume fait partie du quotidien, ce sont généralement des territoires de la “fine gourmandise”. Ce sont également des pays de grande culture car les sens comme les arts ont besoin d’harmonies et d’excès pour se renouveler sans se renier, au fil du temps.
Un verre d’AOP Cornouaille au Sistrot (le temple du Cidre à Quimper), réputé pour son équilibre doux-amer rond et savoureux. Cette AOP (Appellation Origine Protégée) est avec l’AOP Pays d’Auge en Normandie l’une des deux premières AOP cidre de l’histoire et à ce jour la seule AOP cidre de Bretagne.
L’Amère-Saint-Jacques : appelée parfois C’hwerv(1)-Sant-Jakez, son exact équivalent en Breton, cette pomme est portée par des arbres vigoureux aux charpentes solides avec un houppier plutôt aéré aux allures de dôme. C’est une variété productive et peu marquée par l’alternance(2), mais cela dépend toutefois de la conduite du verger. Les fruits sont de calibre moyen, de maturité semi-tardive et libèrent un bon rendement sous le pressoir. Le jus est de bonne densité, clair, peu acidulé et très amer. Elle n’est utilisée qu’en assemblage(3) avec des variétés plus douces.
Tradition : bonne réputation locale. Bien que peu répandue en dehors de son aire d’origine, l’Amère-Saint-Jacques est appréciée par ceux qui en disposent car elle apporte du caractère au cidre. La tradition locale rapporte qu’un frère des Écoles chrétiennes en poste à l’École Saint-Jacques de Clohars-Carnoët, s’intéressait aux variétés de pommes à cidre, avec l’ambition de participer à l’amélioration des productions locales.
Il semble qu’il visitait régulièrement les petites pépinières des agriculteurs de la commune. En ce temps là, les paysans qui disposaient d’un peu de place étaient nombreux a réserver un petit lopin pour une pépinière. Cela leur permettait de disposer de jeunes plants qui pouvaient servir de porte-greffe, mais il en restait toujours quelques-uns à l’état sauvage et lorsqu’ils présentaient de bonnes qualités, les fruits étaient utilisés. Cette pratique nous vaut aujourd’hui de disposer de listes impressionnantes de nom de pommes à cidre dont un bon nombre n’existent plus car les unes n’ont sans doute jamais été dupliquées et les autres ne donnaient peut-être pas de si bons fruits.
Il arrivait donc, et cela arrive encore de nos jours, qu’une variété sauvage, en pépinière ou parfois sur le bord d’un chemin, donne des fruits jugés bons pour le cidre. C’est ce qui arriva à notre religieux. À force d’arpenter les ravines autour de Quimperlé, il finit par repérer une variété amère sur le bord d’un sentier. Après quelques essais, il décida qu’elle avait suffisamment de qualités et qu’il pouvait la dupliquer et la transmettre aux agriculteurs de la paroisse. Tout naturellement, il lui donna le nom du saint patron de l’école où il officiait.
Caractéristiques techniques moyennes : ces valeurs sont été obtenues à partir des données récupérées(4) dans différents documents dont certains ont plus d’un siècle. Effectuées sur des échantillons provenants de vergers aux sols et aux conduites très différents, ces chiffres ne sont pas exempts d’imprécisions car les conditions d’analyse ont largement variées sur la période. Elles sont cependant suffisantes pour donner une première tendance.
Rendement en jus sous le pressoir : 60% – Densité : 1065 – Acidité totale (exprimée en g/l d’acide sulfurique) : 2,40 – Amertume (polyphénols totaux exprimés en g/l d’acide tannique) : 5,25 – Période de floraison : moyenne – Période de maturité de brassage : moyenne. – Type cidricole : amère
Références : “Pommier à Cidre”, J.M. Boré & J. Fleckinger, 2002 (p. 65-66) – En collection au Verger d’Observation du Cidref – Décrite par le Pôle fruitier de Bretagne.
1 C’hwerv (χwεrw) = amer, se prononce féo ou féro en langage populaire du Sud Cornouaille – 2 Les pommiers, comme de nombreux arbres fruitiers alternent les bonnes et les médiocres années de production – 3 Les cidres sont généralement le résultat du mélange (assemblage) de plusieurs variétés afin d’obtenir l’équilibre des saveurs souhaité – 4 Ces données sont étalées sur un siècle et montrent, comme souvent, une grande stabilité.