Ev sistr ‘ta Laou, rak sistr zo mat,
Ur blank, ur blank ar chopinad
Ar sistr zo graet ‘vit bout evet,
Hag ar merc’hed ‘vit bout karet
Karomp pep hini e hini,
‘Vo kuit da zen kaout jalousi
N’oan ket met tri miz eureujet,
Oan dija bemdeiz chikanet
Taolioù botoù, fasadigoù,
Ha toull an nor ‘wechadiaou
Met neket ‘n dra ‘ poan spered din
Ar pezh ‘oa bet lavaret din
Oa laret din ‘ oan butuner,
Ha lonker sistr ha pitaouer
Chanson du cidre
Bois du cidre Guillaume, car le cidre est bon, un sou, un sou la chopine. Le Cidre est fait pour être bu et les filles pour être aimées. Aimons donc chacun la sienne et il n’y aura pas de jalousie. J’étais marié depuis trois mois à peine que je me faisais houspiller tous les jours. Des coups de sabots, des gifles, et parfois même on me flanquait à la porte. Mais ce qui me chagrine, c’est ce que l’on dit de moi. On dit que je suis fumeur, buveur de cidre et coureur de jupons.
Composée, si l’on en croit Dastum, en 1929 au soir longue journée de battage, par deux joyeux lurons, Jean-Bernard & Jean-Marie PRIMA, de Guiscriff, adaptée en 1951 par Polig Mojarret, révélée au grand public par Alan Stivell, Son ar sistr est une des chansons bretonnes les plus jouées dans le monde.
Parmi ses nombreux interprètes, après Alan Stivell, on trouve Youenn Gwernig, The Chieftains (Ireland), Godan Bregovic (Serbie), Irish Republican Army (République tchèque), Anastassia Papisova (Russie), Dick O’ Brass (République tchèque), Vermaledeyt (Allemagne), Kings & Beggars (Ukraine),Rapalje (Pays Bas) et bien d’autres. Évidemment la quasi totalité des musiciens et chanteurs bretons, l’ont un jour ou l’autre interprétée.
Il n’est donc pas surprenant de trouver sur Internet des versions remixees en tous genres (il suffit de taper « Son ar chistr » dans recherche Youtube). Les images ne sont pas toujours en rapport avec le texte. Si le clip de Vermaledeyt s’en approche, celui des Chieftains est à côté de la plaque, même s’il est très beau. Mention spéciale à Jim Barr & Marc Gauvin qui, comme ils l’avouent eux mêmes, avaient sérieusement abusé de cidre, mais la performance de Debra Paget (extrait du film Le tombeau hindou) est toujours aussi délicieuse.
Pour rester dans l’esprit de la chanson, je conseille cependant d’abandonner les images en conserve, de se faire une compilation de quelques versions assez soft, de lancer la musique et de se plonger dans cette étonnante et gratinée « Scientifique dissertation sur l’ivrognerie bretonne » du Cornouaillais Le Guyader qui a son époque s’amusait beaucoup de contes et d’histoires de cidre.
Je vois des ventres-creux qui vivent d’une croûte,
Je vois même de gros empiffreurs de choucroute,
Je vois des gens d’esprit, des malins, des penseurs,
Des vieux portant besicles, austères et censeurs,
Je vois des aigrefins, faisant les difficiles,
Des cuistres, des goujats, des sots, des imbéciles,
Des goinfres, des lourdauds, des bâfreurs, des Normands,
Qui nous accusent d’être ivrognes et gourmands.
Oui, je sais qu’on en rit. Et je sais qu’on en cause.
Eh bien, que voulez-vous, c’est le climat la cause.
Allez, vous dis-je, allez : courez tous les pays.
L’Arabe se remplit le ventre de maïs.
Le superbe Espagnol, dont l’haleine est étrange,
Vit d’une gousse d’ail, et d’un quartier d’orange.
Les pouilleux de Florence, et les lazzaroni
Vivent de l’air du temps et de macaroni.
Au pays de Mireille, à l’ombre du platane,
On déjeune d’un bon melon de Barbantane.
A-t-on le gosier sec, après le sirocco ?
On se contentera d’un verre de coco.
Mais nous, nous qui vivons sous d’autres latitudes,
Nous avons d’autres goûts, et d’autres habitudes.
Nous vivons dans la brume et dans l’humidité.
Etonnez vous qu’on mange avec avidité !
Ah ! ce n’est point d’oignons, de pastèques, d’amandes,
Que nous meublons le creux de nos panses gourmandes.
Il nous faut d’autres mets que des gâteaux de riz.
C’est de bœuf et de lard que nous sommes nourris.
Les soupes, que l’on trempe aux marmites béantes,
Et qu’on bâfre dedans des écuelles géantes ;
Les bouillis monstrueux, les boudins succulents,
Le lard rose, qu’on sert en quartiers opulents,
Et qui laisse au menton deux longs sillons de graisse,
L’andouille, dont l’odeur vous met en allégresse ;
Les tripes, les rognons, les divins aloyaux,
Voilà nos mets, à nous, Gastronomes royaux !
Or, quand le Ventre agit, quand l’Estomac travaille,
Nous leur aidons, avec d’abondante buvaille.
Pour faire, au fond du sac, descendre les morceaux,
Du cidre à plein gosier, du cidre par ruisseaux !
Donc, il faut boire. Donc nous buvons. C’est affaire
De zone, de climat, de degré sur la sphère.
O Bretons, bas-bretons, paillards et ripailleurs,
J’y pense et j’en frémis : nous pouvions naître ailleurs !
Oh ! Dieu ! s’il nous fallait vivre loin de la France,
Parmi les Esquimaux, ces mangeurs d’huile rance,
Ces malheureux, qui n’ont, en guise de boisson,
Que l’amer déplaisir de sucer un glaçon.
S’il nous fallait, en plein désert, traire aux chamelles
Le lait dur et moisi de leurs vieilles mamelles,
Et nomades, avec les pasteurs de troupeaux,
Humer l’eau qui croupit dans des outres de peaux !
Nous pouvions naître encor sur les bords de la Seine :
Là, des gens patentés font le commerce obscène
De vendre au pauvre diable un vin sur et malsain,
Où l’on fourre de tout, excepté du raisin.
Non. Dieu, plein de bonté pour la gent buvassière,
Fit pour nous une bonne et grasse Nourricière :
Il donna donc, un jour, la Bretagne aux bretons.
Bénissons-le. Buvons à sa gloire. Et chantons !
Frédéric Le Guyader – La chanson du cidre – 1901