En ces temps ou l’obscurantisme semble vouloir étendre son ombre, il faut se garder d’encenser trop vite les porteurs de flambeaux des lumières. Comme le font parfois remarquer les rieurs, il arrive que les plombs sautent et comme EDF est parfois en grève, la belle lumière fait malheureusement défaut.
À la pointe de la Cornouaille, sur la plage de Plozevet, un porteur du symbole connut autrefois une fin aussi dramatique que rapide. En décembre 1796, une armada fut dépêchée par la jeune république Française pour aider Wolf Tone à libérer l’Irlande. Les conditions météo en décidèrent autrement et l’expédition fut un désastre. Dans l’aventure, il y avait le « Droits de l’Homme », premier navire lancé par le nouveau pouvoir.
Fuyant la tempête, il fut pris en chasse, début janvier 1797, par deux bateaux anglais et finit sa courte carrière sur la plage de Cante à Plozevet. Il y avait à son bord Elie Pipon, un officier anglais capturé un peu avant, au cours de la traversée. Ayant survécu au naufrage, il revint 40 ans plus tard faire dresser une stèle sur la plage. Elle s’y trouve toujours, dans un état qui pourrait être interprété comme un manque d’intérêt de l’autorité française pour les Droits de l’Homme en Bretagne.
De fait, si la stèle de Pipon est toujours sur la plage de Cante, elle est devenu une curiosité touristique facile à trouver. Elle n’est cependant pas en bon état, même si les riverains firent de leur mieux pour commémorer le deux centième anniversaire de la catastrophe, qui reste encore à ce jour un des naufrages les meurtriers de la baie d’Audierne.
J’ai fait de cette histoire un texte que je conte parfois avec Claude Le Brun à la Harpe. Il a choisi la marche écossaise, « Battle of Waterloo » pour l’accompagner. Vous en trouverez un extrait ci-dessous (le texte mélange du français et de l’anglais).
…We were led down to the foremast store, our jail. There we could feel the coldness, waiting for the attack to start.
The battle commenced with a burst of fire from the batteries, the crash of grapeshot, the whiz of bullets overhead and the booming of the waves. In the middle of the night, an incredible crash stopped the fury. A French sailor said “Montez vite, pauvres Anglais, nous sommes tous perdus”, and we climbed up, as fast as possible, to the deck. In the dark we could just perceive the ugly ghost of death in the howling, and nothing else except the black wall of night.
Les bruits de la bataille ont fait venir les gens sur la plage de Plozevet, mais en ce glacial matin de janvier, les paysans accourus découvrent une gigantesque épave sur le plateau de roches. Elle est bien trop loin du rivage pour être secourue à pied et les vagues sont bien trop grosses pour y aller en barque. Tout juste peut-on enterrer les cadavres disséminés sur la grève et récupérer quelques pièces de bois roussies.
Trois jours passent ainsi dans la froidure, le vent et les vagues, avec à chaque marée basse la perte d’une chaloupe, le maigre succès d’un radeau et l’inhumanité qui s’installe. Au quatrième jour, la mer est plus sereine et un petit navire venu de Brest réussit à s’amarrer au château arrière. Cent cinquante personnes sont sauvées ce soir-là, mais le lendemain la moitié des quatre cent encore à bord ne vivent plus…
Elie Pipon’s stone © Mark Gleonec 2008
Ne manquez pas d’y passer (surtout l’hiver) si vous en avez l’occasion. Vous y verrez une pierre brisée, une mer toujours en mouvement et une dune battue par les vents. Le lieux n’est ni triste ni gai, mais même aux heures ou la mer monte au plus haut sur la plage, on sent sous sa surface la menace des griffes invisibles du plateau de roches.
Cette histoire nous rappelle en tous cas que les Droits de l’Homme ne sont jamais complètement acquis et restent toujours sous la menace de forces obscures, pas forcément très éloignées de nos maisons.
Kroas Avalou le 13 03 2013